Taylor Russell et Timothée Chalamet dans Bones and All
MGM

Pour ses retrouvailles avec Timothée Chalamet, Luca Guadagnino signe un road-movie atone et plein de clichés.

"Bones and all". Comme l’explique un personnage au cours du nouveau film de Luca Guadagnino, certains cannibales décident parfois de ne pas se contenter de manger la chair de leurs victimes, mais vont plus loin, et dévorent le reste – "les os et tout". Le titre de cette love-story anthropophage, adaptée d’un livre de Camille DeAngelis, sert donc non seulement à annoncer la couleur (rouge sang), mais aussi à placer le film sous le signe de l’absolu, de l’extrême, de la passion. Une promesse romantique, pour un film de premières fois, un road-movie d’apprentissage où l’on grandit au fil des kilomètres, en apprenant à choisir ce qu’on laisse ou pas derrière soi.

Dans les années 80, au fin fond de l’Amérique, Maren (Taylor Russell, la révélation de Waves), rencontre Lee (Timothée Chalamet, pas besoin de vous le présenter). Ils sont l’un comme l’autre habités par le besoin irrépressible de manger leurs semblables, frappés par une malédiction d’enfance qui les condamne à vivre sans famille, sur la route. Ils sont jeunes, ils sont beaux, ils mangent des gens. Ils sont les descendants des enfants perdus de La Nuit du Chasseur, du couple meurtrier de Badlands, et plus récemment des kids errants du American Honey d’Andrea Arnold, un film dans lequel Guadagnino semble avoir puisé son esthétique néo-gothique white-trash : une atmosphère de ruelles sordides, de motels miteux, de lumière rasante de fin du jour et de coup de foudre à la supérette.

Bones and All est donc un coming-of-age vampirique, doublé d’un "film de route" payant son tribut à l’immensité du territoire américain, le récit étant rythmé par les noms des Etats visités par les personnages, qui s’affichent sur l'écran en gros caractères. Tous les signaux sont là, bien en place, les codes de ces genres balisés, tant aimés, qui peuvent si facilement nous avoir au charme. Une alchimie folle entre les comédiens et la caméra, une bonne chanson placée pile au bon moment, et hop, on succombe. Mais impossible ici. On est au contraire frappé devant Bones and All par la mollesse de l’ensemble, le manque de vivacité, d’envie, d’allant, de désir. D’idées, aussi. Les kilomètres défilent, et Guadagnino se contente d’empiler les clichés thématiques et esthétiques : l’initiation de l’apprentie cannibale par des "eaters" plus expérimentés, la rencontre avec des rednecks menaçants sortis de Délivrance, les pop songs eighties plaqués mécaniquement sur les paysages du Kentucky ou du Nebraska… Le cinéaste entendait sans doute mêler ici sa veine Call me by your name (la romance dévorante, les années 80, Timothée Chalamet) et sa veine Suspiria (l’horreur sexy chic), mais il rate sur tous les plans, celui du roman d’apprentissage qui tord le bide comme celui du frisson horrifique.

C’est étonnant pour un cinéaste dont l’œuvre a elle-même une dimension "cannibale", Guadagnino adorant s’emparer de l’œuvre d’autres cinéastes (Deray, Argento, Ivory) pour les mettre à sa main. Mais le film ne semble réellement exister que pour son emballage sexy, avec ses beaux acteurs faisant des choses vaguement tape-à-l’œil. A l’image de cette scène, au début du film, où Timothée Chalamet se trémousse sur un vieux tube de Kiss. Comme ce sont les retrouvailles de Chalamet et Guadagnino, il fallait une scène de danse dans Bones and All, en écho à celle sur "Love My Way" dans Call me by your name, qui a fait chavirer le monde entier. Mais celle-ci n’est là que parce que c’est ce qu’on est censé attendre du film à ce moment précis. Pour produire du cool artificiel, préfabriqué, sans justification dramatique, sans nécessité ni passion.

Bones and All, de Luca Guadagnino, avec Taylor Russell, Timothée Chalamet, Mark Rylance… Prochainement.