Le Chêne de Laurent Charbonnier et Michel Seydoux
Camera One/ Gaumont/ Winds

Le duo Laurent Charbonnier- Michel Seydoux a mis en scène un petit bijou de documentaire sur le roi des arbres et son écosystème. Plongée dans les coulisses de sa fabrication.

Un duo inédit à la réalisation

Célébration de la nature, Le Chêne met en scène l’un des représentants de ce roi des arbres, situé dans la campagne solognote et l’ensemble des habitants (espèces animales, végétales, minérales et mycéliales) gravitant autour de lui. Et aux commandes de ce film qui tranche avec les habituels documentaires nature, on retrouve un duo inédit : Laurent Charbonnier- Michel Seydoux. Venu de la photographie, le premier a d’abord participé aux prises de vue animalières pour différents documentaires et fictions (Le Peuple migrateur, Les Enfants du marais, Le Dernier trappeur…) avant de passer à la réalisation en 2005 avec Les Animaux amoureux, nommé au César du documentaire, suivi quatorze ans plus tard de Chambord, promenade poétique au cœur du majestueux domaine de 5000 hectares entourant le célèbre et château et préservé comme au premier jour depuis cinq siècles. Mais c’est dès 2009 qu’il a eu l’idée d’un film autour du chêne « avec l’idée de faire un tour du monde des plus beaux représentants de cette espèce », explique t’il. Avant donc de se recentrer sur un seul, choisi après… un long casting comme dans une fiction et situé… à 800 mètres de sa maison en Sologne. Ce sont précisément ces passions communes pour la forêt et la Sologne qui l’ont réuni avec Michel Seydoux. Producteur de Cyrano de Bergerac, Soleil trompeur, On connaît la chanson et de nombreux Alain Cavalier, celui- ci avait réduit la voilure côté cinéma en prenant la présidence du club de foot de Lille, de 2002 à 2016, avec un titre de champion de France à la clé. « Pour mon retour aux affaires après cette magnifique parenthèse, j’avais forcément envie d’une aventure inédite pour ne pas refaire ce que j’avais fait », explique t’il. Ce sera donc ce Chêne qui marque ses premiers pas à la réalisation « dans une harmonie totale car nous étions parfaitement complémentaires », Laurent Charbonnier sur le terrain et Michel Seydoux à la table de montage avec Sylvie Lager

LE CHÊNE: UN BIJOU DE DOCUMENTAIRE NATURE [CRITIQUE]

Un documentaire pensé comme un conte

Le Chêne dénote et détonne dans le petit monde du documentaire. Nulle trace ici par exemple de ces commentaires en voix- off souvent lénifiants qui, sous prétexte de pédagogie, cassent très vite les oreilles malgré la beauté des images. « On voulait que chaque spectateur du Chêne puisse s’approprier ce récit à son rythme, avec sa propre sensibilité, sans qu’on lui force la main ou qu’on le perde dans des détails », précise Laurent Charbonnier. « Sachant qu’il me paraît toujours plus facile de filmer un animal que d’écrire un commentaire pertinent sur ces images ». Un sentiment plus que partagé par Michel Seydoux. « On a dès le premier jour envisagé cette symphonie forestière comme un conte où on n’avait pas envie de mettre en avant l’aspect cruel de la nature mais de privilégier l’émerveillement. » Et ils appliquent à leur documentaire les méthodes d’une fiction. « On a commencé par faire… un casting de tous les habitants de cet écosystème autour du chêne, on a ensuite étudié leurs différents caractères avec l’aide de plusieurs spécialistes et, avec Laurent, on s’est alors demandé celles et ceux qu’on aurait envie de filmer. » Et une fois ce travail préparatoire effectué, le duo fait appel à Michel Fessler (co- auteur de nombreux fictions et documentaires du Ridicule de Patrice Leconte à La Marche de l’empereur de Luc Jacquet) pour écrire un scénario. « On a ainsi pu coucher sur le papier ce que nous avions envie de raconter », explique Seydoux. « Et ce scénario tout comme le storyboard qu’il nous a inspiré et qui a permis le financement de ce projet singulier nous ont été particulièrement utiles pendant le tournage, pour ne pas nous perdre au fil des 350 heures de rushes filmés par Laurent »

Un tournage de longue haleine

Le secret de la réussite du Chêne tient dans son temps long. Plus d’un an de tournage et 46 semaines de tournage. « Sans ce luxe- là, ce film n’aurait jamais pu voir le jour », assure Laurent Charbonnier. « Car sur le plateau, je n’avais aucune obsession d’un nombre de minutes utiles à engranger par jour. Dans le film tel que nous l’avions conçu, je pouvais rester à attendre des heures pour tenter de saisir l’action que nous avions imaginé, tout en captant avec ma caméra d’autres moments non prévus. Nombreuses sont les journées où je suis reparti bredouille. Je pense aux scènes de neige qui nous ont longtemps fait défaut : on ne commande pas la nature ! » Mais pour avoir la réactivé nécessaire, l’emplacement du chêne a constitué un élément plus que précieux, tout particulièrement pendant le confinement où, puisque l’arbre était situé à moins d’un kilomètre de son habitation, Laurent Charbonnier a pu continuer à tourner comme si de rien n’était. Ce temps long a aussi été indispensable au travail de montage pour passer de ces 350 heures d’images au film de 80 minutes, découvert hors compétition lors du festival de Berlin. « Ce travail a commencé à mi- tournage », explique Michel Seydoux. « Et ce après un long temps de dérushage qui me permettait de « commander » à Laurent des scènes ou des images manquantes pour qu’il puisse tenter de les filmer. Pour construire le film, on s’est évidemment appuyé sur le storyboard mais sans s’interdire d’ajouter des choses. Et ce qui est étonnant c’est qu’au fil du montage, on a tout naturellement gommé les traces humaines comme les bruits d’une tronçonneuse ou les traces dans la boue d’une moto de trial. La nature a repris le dessus de manière… naturelle. » La preuve par neuf qu’ils étaient sur la bonne voie !