Léa Seydoux - France
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Avant de partir pour la Grèce sur le tournage du nouveau Cronenberg, la comédienne, absente de Cannes pour cause de Covid, nous a reçus dans un bistrot parisien près de son domicile pour évoquer son travail avec Bruno Dumont.

Cette interview est tirée du numéro 521 de Première, disponible en kiosque et sur notre boutique en ligne. Vous pouvez aussi y retrouver notre entretien avec Bruno Dumont, le réalisateur de France

"J’ai en effet sollicité Bruno Dumont pour tourner avec lui. Tout est parti d’une envie assez simple et directe, celle de tourner avec un grand metteur en scène. J’ai découvert son cinéma avec ses premiers films : La Vie de Jésus, L’Humanité... Ce qui a vraiment déclenché les choses, c’est une émission sur France Culture où il était invité. Il parlait du sacré, de la manière dont il parvenait à l’atteindre par son art. Pour moi, le sacré est surtout lié au sentiment amoureux. Être amoureux, c’est une forme d’apothéose du sacré ! La découverte d’une œuvre d’art permet bien entendu d’être transcendé. Je ressens ça très fort en voyant les films de Bruno, dans sa façon de révéler la puissance d’un paysage, par exemple.

France a aussi sa part de sacré. Cela n’empêche pas une forme de trivialité. Les choses existent toujours avec leur exact contraire. Un cinéaste peut choisir de ne s’intéresser qu’à une seule facette d’un personnage. Bruno prend tout, d’où cette richesse et cette intensité qui émanent de ces personnages. France est calquée sur ma propre nature, avec des nuances évidemment. C’est un jeu de miroirs déformants. Parfois, la glace se brise et c’est l’actrice qui regarde son metteur en scène, en lui envoyant des regards complices."

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"Ma première rencontre avec Bruno a été très naturelle. Certains metteurs en scène peuvent m’intimider, pas lui, j’ai tout de suite eu l’impression de le comprendre et de saisir intrinsèquement ses envies. De manière générale, je ne m’oppose jamais à un metteur en scène, mon travail est, au contraire, d’essayer de me conformer à sa personnalité, sa pensée. La réciproque n’est pas forcément vraie, un cinéaste n’a pas besoin de connaître en profondeur celui ou celle qu’il dirige. Le métier d’acteur oblige l’empathie, le fait d’être tourné vers l’autre.

Bruno me filmait comme il regarderait un paysage, sans trop d’affects. Ça ne me dérange pas. Jouer c’est être tout entier dans le présent. C’est très premier degré. Prenez la séquence où je suis au volant de la voiture et que France craque. La caméra me filme en contre-plongée. J’ai commencé par crisper mon visage. Les larmes sont venues ensuite. Le mouvement précède l’émotion. Le jeu, c’est physique, la psychologie n’a pas vraiment sa place. Dans la vie, on passe son temps à se projeter ou à ressasser des choses, pas devant une caméra. Il faut être là. Être dans le présent, c’est être immortel.

Bruno m’avait avertie dès le départ qu’il me dirigerait avec des oreillettes comme tout le monde. J’ai accepté même si ce n’était pas évident. Quand quelqu’un vous parle dans l’oreille, ça altère votre jeu, vous empêche de moduler votre texte. Il adore le décalage, donc l’artificialité que cela peut provoquer. Beaucoup ne voient que du cynisme chez France. Ce n’est pourtant pas ce qui la définit entièrement. Elle est traversée par différents sentiments et sensations. Elle est tour à tour légère, vaniteuse, tragique... Le film raconte son chemin, son évolution. Elle quitte le système dans lequel elle est, le remet en cause et tente l’aventure. Tout est exacerbé chez Bruno Dumont. Il ne propose pas un cinéma réaliste. La pureté naît de l’exagération du réel."