Damian Chapa dans Les Princes de la ville (1993)
Hollywood Pictures

Présent au raout Lyonnais, l’américain Taylor Hackford a présenté une fresque électrique sur les gangs latinos de L.A, réalisée en 1993. Une découverte qui valait presque à elle seule le déplacement.

L’une des vertus d’un rendez-vous comme le Festival Lumière de Lyon, dédié au cinéma dit « de patrimoine », est la (re)découverte d’œuvres oubliées, perdues de vue ou tout simplement inédites. Si la manifestation menée tambour battant par un Thierry Frémaux à vélo, affiche sans retenue sa peoplisation, fusse-t-elle cinéphile, ou ses avant-premières événementialisées, sa vraie richesse est ailleurs.

Dans cette quinzième édition qui consacre Wim Wenders défilent un peu partout Fabrice Luchini, Karin Viard, Laurent Gerra (en véritable taulier du raout) mais aussi Alexander Payne, Wes Anderson et même Sean Penn qui, apprend-on, de passage en France, se serait carrément invité. Sur les écrans, outre des Ozu, Altman, de La Patellière, le public peut aussi découvrir Le petit blond de la Casbah,,dernier né d’Alexandre Arcady, ou le Grand Prix du dernier Festival de Cannes, La zone d’intérêt de Jonathan Glazer. Le spectre est d’une royale largesse !
 


 

Ailleurs

« Ailleurs » donc, mais pourtant côte à côte, nous avons vu le néo-réaliste Segundo Lopez (1953) d’une cinéaste espagnole, Ana Mariscal, dont on ne savait rien ou presque et qui, par ce film, s’envisage sans rougir comme une Vittorio De Sica ibérique. Il y a eu aussi ce puissant Bushman (1971) d’un certain David Schickele, portrait en forme d’errance dans le San Fransisco contestataire de la fin des sixties, d’un hobo nigérian faisant l’expérience d’une Amérique réac’ et raciste. Ni tout à fait un documentaire, ni totalement une fiction, Bushman, se rattache à ce cinéma vérité dont la portée politique et poétique s’est dissoute dans les rets d’une industrie marchande contre laquelle il se battait. En France, ce Bushman est entre les bonnes mains du distributeur Malavida, et va connaitre une exploitation prochaine. Nous y reviendrons.

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« Mais qu’est-ce que c’est que ce film ? »

Et puis, il y a eu ces Princes de la ville, Blood In Blood Out en VO (1993) de Taylor Hackford que nous avions coché au préalable sur nos tablettes. Hackford, l’homme d’Officier et Gentleman, Soleil de nuit, L’associé du diable ou encore Ray avait donc à son tableau de chasse, cette fresque de trois heures sur les gangs latinos du East L.A. Le cinéaste américain, qui à la fin des eighties avait entre autre produit le carton La Bamba, a expliqué en préambule de la projection lyonnaise, que la post-production des Princes de la ville (Hackford a ironisé sur ce titre français idiot) était concomitante aux émeutes de L.A en avril 92 suite à l’affaire Rodney King.

Disney, qui chapeautait via une de ses nombreuses divisions le film d’Hackford, l’a logiquement sacrifié. « Le big boss Michael Eisner qui n’était pas au courant de l’existence de mon long-métrage, a demandé à ses cadres : "Qu’est-ce que c’est que ce film ultra-violent ? Je m’occupe d’une marque familiale, je ne peux pas sortir un truc pareil, surtout en ce moment !" Au final, le film a été programmé dans sept salles aux Etats-Unis puis a disparu de la circulation au bout d’une semaine. Heureusement, avec sa sortie VHS quelques années plus tard, le film a circulé dans les milieux latino où il bénéficie encore aujourd’hui d’un véritable culte ! »

Les Princes de la ville
Hollywood Pictures

Œuvre impure

Les Princes de la ville dont le titre original oscille entre Blood in, Blood Out et Bound by Honor, raconte le destin contrarié sur une décennie de trois copains issus d’un même quartier hispanique de East L.A dont l’un va atterrir à San Quentin, célèbre prison des Etats-Unis. De petite frappe pâlichonne aux yeux bleus presque transparents, le jeune homme va devenir une figure locale du crime. Hackford ayant fait ses premières armes dans le documentaire, offre ici une plongée réaliste dans un écosystème ultra-violent dont il s’immerge complètement.

Ecrit par un poète latino ayant fait lui-aussi son éducation dans les prisons californiennes, tourné in situ avec des illustres inconnus (on reconnait toutefois dans des petites rôles Billy Bob Thornton, Danny Trejo ou Ving Rhames), Les princes de la ville, a le charme et la puissance de ces œuvres à priori impures. La mise en scène brute, et chaotique, ampoulée par endroit, fait feu de tout bois, avance sans s’excuser de tout renverser (on se demande comment une telle liberté a été possible) et distille une électricité terrassante. Il est à priori certains que ces Princes retourneront d’où ils viennent, dans l’angle mort d’une histoire secrète du cinéma. Ils étaient de passage à Lyon. Nous y étions donc. Privilège cinéphile.

Plus d'infos : www.festival-lumiere.org


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