Un berger et deux perches a l'Elysee
Jour2fete

Le candidat béarnais à la présidentielle 2017 est la star du documentaire Un berger et deux perchés à l’Elysée ?

Les caméras adorent Jean Lassalle. Sa tronche, sa faconde, ses coups d’éclat, son accent du sud-ouest… Les caméras adorent Jean Lassalle, mais surtout pour se moquer de lui. Le documentaire Un berger et deux perchés à l’Elysée ? se veut à l’opposé des caricatures rigolardes qu’on fait souvent du député-maire de Lourdios-Ichère. C’est un portrait énamouré (mais pas hagiographique) tournés par deux hommes de gauche, le documentariste Pierre Carles (l’auteur de Pas vu, pas pris et La Sociologie est un sport de combat, expert de la critique des médias) et son acolyte Philippe Lespinasse, qui se sont entichés du candidat Lassalle au moment de la présidentielle de 2017, au point de devenir ses spin-doctors. De cette aventure improvisée, ils ont tiré une comédie politique funambule, gaguesque mais jamais moqueuse. Co-réalisateur du film, Philippe Lespinasse nous explique comment il est tombé amoureux de Jean Lassalle, qu'il décrit comme un mélange entre Géronimo et James Stewart.

Première : Au début du film, Pierre Carles et vous expliquez qu’au moment de la présidentielle 2017, vous avez choisi de placer vos espoirs révolutionnaires en Jean Lassalle… Pourquoi lui et pas un vrai candidat de gauche ?
Philippe Lespinasse :
Il faut rappeler que dans un premier temps, c’est Jean Lassalle qui a contacté Pierre Carles. Il s’était intéressé au portrait que Pierre avait fait de Rafael Correa, le Président de l’Equateur (On revient de loin, 2016). Lassalle s’intéresse beaucoup à ce qui se passe en Amérique du Sud, en Equateur, en Bolivie, il y a une forme de communauté de pensée entre les peuples de montagne. Quand on le rencontre, Lassalle nous dit qu’il va être candidat à l’élection présidentielle, on répond « tope-là, on t’accompagne ». Avec lui, il y avait une perspective cinématographique absente chez les autres candidats. Poutou, Mélenchon, Juppé, Fillon… ce sont des machines de guerre entourées de staff, qui ne te permettent de filmer que ce qu’ils ont décidé de t’accorder. Ce sont eux qui décident du in et du off. Poutou est le représentant d’un parti. Ça ne veut pas dire que sa pensée est formatée, mais il y a très peu d’improvisation. Lassalle, c’était une puissante promesse de cinéma. C’est la tête de Géronimo sur le corps de James Stewart ! Il occupe l’espace de manière plastique. Pendant un an, j’ai eu l’impression de filmer Rudolph Noureev.

Quand vous dites dans le film être « tombés amoureux » de lui, vous parlez du personnage de cinéma ?
Oui. Et puis il est aussi extrêmement généreux, très sympa, d’un humanisme profond… Ses improvisations, ses bizarreries nous ont beaucoup touchés. Je viens du cinéma animalier, et j’ai parfois eu l’impression de filmer une bête sauvage, aux réactions inattendues. A la différence des autres candidats qui ont des discours formatés et qui ont réponse à tout, qui envisagent la politique de manière manichéenne, Lassalle, par ses recherches, ses improvisations, cette manière d’envisager le langage comme une sculpture, est alternatif. Et reposant.

Au moment où vous commencez à le filmer, vous n’avez aucune certitude qu’il aura les 500 parrainages pour être candidat…
Oui, cette campagne ressemble à une épopée impossible. C’est un outsider, qui n’a pas le capital sociologique, culturel, financier, qui lui permettrait d’accéder à la fonction suprême. C’est une évidence de le dire mais ça ne fait pas de mal de le rappeler : Lassalle est une exception sociologique à l’Assemblée nationale, qui est censée représenter toutes les couches de la société. La course à la présidence est une compétition réservée à une sorte d’élite. Quand Lassalle s’y présente, il part avec un handicap. Le film raconte ça aussi.

A quel moment Pierre Carles et vous avez décidé de devenir les co-vedettes du film, les deux « perchés » du titre ?
Ça a été un lent processus. Dans les premiers montages, on était moins visibles. Mais ça produisait un film moins intéressant, un peu en surplomb, où on donnait l’impression de se moquer d’un candidat atypique, où on s’exonérait à bon compte de situations rocambolesques dans lesquelles on était impliqués. On ne voulait pas d’un film vu de haut, d’un Strip-tease sur Jean Lassalle. Hors de question. D’où l’idée d’entrer en scène avec lui, sur le ring, dans une chorégraphie commune. Intégrer les conditions de fabrication du film au film lui-même, c’est un puissant ressort narratif. Pour nous, Jean Lassalle est bien plus qu’un trublion de la politique. Il y a une perspective légendaire dans le film. C’est la légende du berger qui voulait devenir président de la République. Une légende béarnaise dont je suis sûr qu’on parlera encore dans 150 ans… Et les deux perchés, les deux mecs qui s’entichent de ce candidat, ce sont deux orphelins de la politique qui projettent leurs fantasmes sur lui.

Vous aviez des références dans le genre du portrait politique documentaire ?
Pas vraiment, non. On est plus proche de Bienvenue Mister Chance ou Mr Smith au Sénat. Ce gars qui se retrouve au pouvoir mais qui n’est pas programmé pour. Qui fait de la politique à l’instinct. C’est une comédie politique pour laquelle on n’avait pas de modèle, j’ai l’impression qu’on a défriché quelque chose de nouveau.

Et Jean Lassalle, que pense-t-il du film ?
Dans un premier temps, il ne s’est pas reconnu. Je crois qu’il attendait quelque chose de plus institutionnel. En même temps, comme il le dit lui-même, le dernier film qu’il a vu, c’est La Vache et le Prisonnier ! Mais il y a un processus de dissociation qui a fini par s’opérer. Il accompagne le film, les retours sont bons. Beaucoup de spectateurs m’ont dit que s’ils avaient vu le film au moment de la présidentielle, ils auraient voté pour lui…

Un berger et deux perchés à l'Elysée?, actuellement en salles.