Rosalie
Gaumont

Après son César pour Les Amandiers et le carton de Mon crime, la comédienne poursuit son année 2023 de feu en campant avec superbe une femme à barbe dans Rosalie, le deuxième long de Stéphanie di Giusto, présenté à Un Certain Regard. Une femme amoureuse refusant le statut de bête de foire. Rencontre

Comment se retrouve t’on à jouer ce personnage de femme à barbe, inspirée par un personnage qui a réellement existé ? Stéphanie Di Giusto vous l’a directement proposé ?

Nadia Tereszkiewicz : En fait, j’ai croisé Stéphanie dans la rue, un jour de 2020. On portait toutes les deux le masque mais je l’ai reconnue car j’avais fait une silhouette dans son premier film, La Danseuse. On a discuté et elle m’a dit qu’elle allait m’appeler bientôt pour passer des essais. J’ai d’abord reçu des scènes puis au fur et à mesure du processus, le scénario. Mais surtout Stéphanie m’a raconté son désir avec cette histoire : raconter le destin d'une femme. Un grand destin qui n’avait jamais été raconté et auquel je me suis immédiatement identifié car il passe ici par le prisme d’une histoire d’amour.

Comment se glisse t’on dans la peau de cette femme ?

En suivant les indications que me donne d’emblée Stéphanie. Elle voulait… que je sois moi, que je ne compose rien. Et ça a marché… du moins si j’en crois ma mère ! (rires) Car hier soir, après la projection, elle est allée voir Stéphanie et lui a dit : « je n’ai pas vue Rosalie mais Nadia… Elle n’est pas actrice dans votre film en fait ! ». Mon père lui a fait les gros yeux mais il ne savait pas que ma mère ne pouvait pas faire plus beau compliment à Stéphanie.

Mais ne pas jouer… c’est jouer quand même, non ?

Oui, c’était à moi de trouver ce chemin- là, de rapprocher Nadia et Rosalie. C’est passé évidemment par toute la préparation quotidienne avant d’aller sur le plateau : le costume, la coiffure, la barbe… Trois à quatre heures chaque jour qui me permettaient de rentrer dans le personnage. Cette barbe c’est vraiment devenu une deuxième peau. Je ne pouvais pas l’enlever entre les prises donc je la gardais toute la journée. Ce n’était pas un banal postiche. Elle m’a mise dans un état particulier. Ca a questionné ma féminité. J’ai pu être dégoûtée, avoir honte, me sentir mal dans la peau mais c’est exactement ce que traverse Rosalie. Elle bataille contre ce malaise et c’est sa rage de vivre qui va lui permettre de surmonter tout ce qu'elle vit.

C’est un rôle très physique. Il y a même une scène où Rosalie se fait rouer de coups…

Oui mais en fait, ce moment ne m’a pas réellement impacté. La scène dont j’ai eu le plus du mal à me remettre est celle où le personnage d’Abel que campe Benoît Magimel, ce tenancier de café acculé par les dettes qui ne l’épouse que pour la dot lui dit en découvrant son état : « j’espérais une vraie femme ». Cette phrase m’a profondément atteinte moi. J’ai dû pleurer pendant 10 minutes sans pouvoir m’arrêter. C’est l’une des raisons pour lesquelles j’aime autant jouer : cette capacité qu’a le jeu à te mettre vraiment dans des endroits très fragiles émotionnellement.

Comment se construit ce couple Abel- Rosalie ? Vous avez répété en amont avec Benoît Magimel ?

Pas du tout. Et pour une raison toute simple : Stéphanie nous l’avait interdit ! Le hasard a pourtant voulu qu’on se croise l’année dernière à Cannes alors qu’il présentait Pacifiction et moi Les Amandiers. On a même fait un trajet commun vers une plage mais on a respecté le pacte : on ne s’est pas parlé, juste échangé des regards qui en disaient long ! (rires) En fait, Stéphanie voulait que je découvre vraiment Benoît dans la scène où Rosalie découvre Abel. Pour que ça crée quelque chose à l’écran. Et elle a eu raison. D’autant plus que Benoît travaille de cette manière. Ainsi il ne m’a quasiment pas parlé pendant la première moitié du tournage jusqu’à ce que Abel se rapproche de Rosalie au point que j’ai pu me sentir rejetée. Sauf que là encore, la vie venait percuter le film donc m’aidait à être Rosalie. Il avait besoin de cette distance pour jouer la distance entre nos personnages. Il m’avait juste offert le premier jour de tournage une boîte à musique. Et de temps en temps, on faisait sonner la musique. Celle de La Vie en rose. Ca a été, en quelque sorte, un temps, notre manière d’échanger. Mais jouer une histoire d’amour avec Benoît, c’est vraiment la classe ! C’est quelqu’un qui montre qu'il n'a pas peur d'être vulnérable, de montrer des fragilités, des failles. Il se situe à un tel endroit de vérité que ça te porte dans ton jeu. C’est une chance inouïe de tourner un film avec lui

Rosalie. De Stéphanie Di Giusto. Avec Nadia Tereszkiewicz, Benoît Magimel, Benjamin Biolay… Durée : 1h55