L’effet ObamaDavid Oyelowo : « L’élection d’Obama a été un événement historique capital. Dans la foulée, je pense que le public et les artistes américains ont eu inconsciemment besoin de comprendre comment on en était arrivé là. J’insiste sur le mot "inconsciemment". Personne ne s’est dit : "Tiens, Obama est Président, faisons La Couleur des Sentiments !". Non, c’est juste dans l’air, dans le zeitgeist. Moi, en tant qu’acteur, j’ai énormément bénéficié de cet engouement. J’ai tour à tour été dans La Couleur des sentiments, Red Tails (film d’aviation sur des pilotes noirs pendant la Seconde Guerre mondiale, produit par George Lucas et inédit en France), Lincoln, Le Majordome et maintenant Selma. Tous ces films dialoguent bien sûr entre eux. J’avais même une scène face à Martin Luther King dans Le Majordome… »Une évolution trop lente« Longtemps, le fait qu’il y ait une ou deux superstars noires à Hollywood a servi de cache-misère. D’excuse pour ne pas donner plus de rôles de premier plan aux types comme moi. "De quoi tu te plains ? On a Will Smith !" Les choses évoluent, mais pas assez vite à mon goût. Si Martin Luther King n’avait pas été noir, je n’aurais jamais eu le rôle. Vous voyez ce que je veux dire ? Quand on obtient un rôle important, il est systématiquement marqué racialement. D’ailleurs, historiquement, les grands acteurs noirs ont toujours explosé grâce à des drames historiques ou à des biopics : Denzel Washington avec Cry Freedom et Glory, Jamie Foxx avec Ray… Pour tout le reste, on continue de se faire griller la politesse par Tom Hardy ou Ryan Gosling. »>>> Selma : David Oyelowo réagit à la polémique des OscarsUn film trop actuel « La réception de Selma aux Etats-Unis a été complètement folle. On a montré le film une première fois en novembre. L’affaire Ferguson était encore dans toutes les têtes (en août, Michael Brown, un jeune Noir, était tué par un policier blanc). Puis il y a eu la mort d’Eric Garner (suite à une interpellation brutale)… Début décembre, une heure et demi avant notre grand première new-yorkaise, le policier responsable de sa mort était acquitté. Les gens sont descendus dans la rue. Voir Selma dans ce contexte-là modifiait toute l’expérience. Car le film ne parle que de ça : comment on conteste le pouvoir établi, comment on s’organise pour changer le cours des choses. On pensait avoir tourné un film historique, mais les manifestations lui ont donné une résonnance totalement contemporaine. Reste à savoir sur quoi ce ras-le-bol va déboucher. D’immenses progrès ont été faits depuis cinquante ans, certes, pourtant aujourd’hui la communauté noire n’a plus de leader aussi charismatique que King pour lui montrer le chemin… »>>> Oscars : le discours poignant de Common pour la libertéUne industrie trop blanche« Les gens à la tête des studios hollywoodiens sont presque tous blancs, c’est un fait. Et c’est pour ça qu’il y a autant de Blancs dans les films : les décideurs ont tendance à embaucher des gens qui leur ressemblent. En plus jeune et en plus beau. Qu’il ait fallu autant de temps pour qu’un film sur Martin Luther King voie le jour est la preuve qu’il y a un problème. On s’est heurté à des difficultés invraisemblables. Et on est toujours sur la corde raide : si Selma se plante, ou un autre film du même genre après lui, les executives l’utiliseront comme prétexte : "Vous voyez, les spectateurs ne veulent pas voir de Noirs au cinéma, ils ne s’identifient pas." Notre chance, c’était d’avoir Oprah Winfrey comme productrice. Sans elle, le film ne se serait jamais fait. Et il n’aurait certainement pas été réalisé par une jeune femme noire (Ava DuVernay). Oprah s’est reconnue en Ava. Il est vraiment temps que les Noirs occupent des postes à responsabilités à Hollywood. »Interview Frédéric FoubertSelma d'Ava DuVernay avec David Oyelowo, Tom Wilkinson, Carmen Ejogo sort le 11 mars dans les salles