Ray Harryhausen et sa femme
Abaca

Ray Harryhausen est décédé aujourd'hui : la nouvelle a été annoncée sur la page Facebook de la fondation Ray & Diana Harryhausen; vouée à la préservation des oeuvres du maître. Avec lui disparaît l'un des derniers artisans des effets spéciaux mécaniques, dont les créations splendides au style si reconnaissable sont encore dans les mémoires.

Raymond Frederick Harryhausen est né en juin 1920 à Los Angeles : la légende veut que sa vocation soit née en voyant le King Kong de 1933 avec son ami d'enfance, l'écrivain de science-fiction Ray Bradbury. Envoûté par la magie des effets spéciaux créés par Willis O'Brien pour donner vie au singe géant, Harryhausen consacre sa jeunesse à tourner des courts-métrages d'animation image par image (ou stop motion). Il connaît sa première expérience professionnelle dès 1940 en travaillant sur les Puppetoons de George Pal (des court-métrages de marionnettes en bois).

Singes, pieuvres et géants

Après la Seconde guerre mondiale (où il sert sous les ordres de la division spéciale cinéma de Frank Capra), il trouve en 1949 son premier véritable emploi sur un film : il assiste son idole Willis O'Brien sur Monsieur Joe (Mighty Joe Young) d'Ernest B. Schoedsack (également co-auteur du premier King Kong), encore une histoire de singe géant. En 1953, il signe les SFX du Monstre des temps perdus (The Beast from 20,000 Fathoms) d'Eugène Lourié, dont le script est co-signé Bradbury. Suit dans la même veine la création de la pieuvre géante du Monstre vient de la mer en 1955. Entre-temps, en 1954, O'Brien fait appel à lui pour une séquence d'animation en couleur pour une séquence d'un documentaire animalier comprenant des dinosaures : c'est son premier travail en couleurs.

Les voyages de Ray

Après le monstre en couleur de A des millions de kilomètres de la Terre (20 Millions Miles to Earth) en 1957, 1958 voit la sortie du Septième voyage de Sinbad, flamboyant film d'aventures où Sinbad affronte un squelette, une femme-serpent et un cyclope gigantesque au look très novateur (corne sur le front, jambes caprines). C'est sur Sinbad que le style Harryhausen (vendu sous le nom de "Dynamation") devient évident, et Harryhausen enchaîne avec Les Voyages de Gulliver en 1960 (où il crée un écureuil et un alligator géants), puis L'Ile mystérieuse de Cy Endfield en 1961 d'après Jules Verne (on y voit un oiseau et un céphalopode colossaux). Confirmant le talent d'Harryhausen pour créer des monstres dotés d'une véritable personnalité et semblant réellement interagir avec les comédiens malgré le stop motion et les transparences évidentes.


A la conquête de la Toison d'or

C'est en 1963 que sort le grand classique des FX signés Harryhausen : Jason et les Argonautes. Racontant la quête du héros grec pour s'emparer de la Toison d'or, le film aligne les monstres devenus cultes : le colosse de bronze Talos, les harpies, l'Hydre et surtout la splendide bataille contre des squelettes animés (quatre mois de travail pour trois minutes à l'écran). Malheureusement, ces films -désormais classiques- sont des échecs tout comme Les Premiers hommes dans la lune (1964). En 1966, les dinosaures de Un million d'années avant Jésus-Christ (et les formes généreuses de Raquel Welch, pour lesquelles Harryhausen n'est pas responsable) connaissent par contre un énorme succès. Harryhausen anime alors d'autres sauriens dans le curieux La Vallée de Gwangi (1969) où des cow-boys découvrent une vallée perdue pleine de reptiles géants.

Derniers voyages

En 1974, il revient à la mythologie avec Le Voyage fantastique de Sinbad (qui vaut surtout pour son combat avec une statue de Kali aux six bras), suivi par Sinbad et l'oeil du tigre (1977), encore plus délirant. En 1981, c'est Le Choc des titans, dont le bestiaire synthétise toute la carrière de l'animateur : Pégase, vautour géant, scorpions monstrueux, kraken surgi des mers, et surtout une terrifiante Méduse armée d'un arc. Le film a beau être un succès, c'est la dernière fois qu'Harryhausen signe les animations de créature au cinéma. Ignoré des Oscars et de l'establishment hollywoodien en général (il reçoit le trophée Gordon E. Sawyer "pour les avancées technologiques permises par son oeuvre" en 1992, et c'est tout), il se consacrait depuis à l'écriture de livres sur l'animation et la participation à des documentaires, tout en apparaissant en caméo dans quelques films (Le Flic de Beverly Hills 3 et Cadavres à la pelle de John Landis, un de ses fans).

L'héritage colossal

Harryhausen vivait depuis quelques années à Londres, où il reçut un BAFTA des mains de Peter Jackson en 2011 pour l'ensemble de sa carrière. Et c'est là qu'une crise cardiaque l'a terrassé, mardi 7 mai 2013, un mois avant son quatre-vingt-treizième anniversaire. Comme le montre le récent et excellent documentaire Ray Harryhausen : Special Effects Titan de Gilles Penso, son influence est énorme : les films de George Lucas, Steven Spielberg, James Cameron, Terry Gilliam, Tim Burton, Sam Raimi, Guillermo Del Toro et tant d'autres héritiers du grand cinéma populaire et magique le citent comme l'un de leurs maîtres en matière d'utilisation des effets visuels. Le nom d'Harryhausen fait partie de l'histoire du cinéma, et continuera longtemps d'inspirer de nouveaux talents.