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L'acteur et réalisateur Bouli Lanners signe un quatrième film en forme d'hommage au western. On en parle.

Acteur populaire et cinéaste atypique, Bouli Lanners cultive les étiquettes et les paradoxes. Après deux ovnis burlesco-noirs (Ultranova, Eldorado) et un beau film sur l’enfance (Les Géants), il s’attaque avec Les Premiers, les Derniers à son projet le plus ambitieux, un western moderne post-apocalyptique rempli de guest stars et de savoureux seconds rôles. Avec Albert Dupontel, il compose un duo de chasseurs de primes vieillissants et désabusés dont la rencontre avec un jeune couple d’amoureux traqué va modifier la trajectoire toute tracée.

Comment a surgi l’idée de Les Premiers les Derniers ?
Je voulais faire un film crépusculaire nourri par l’actualité, par l’état de la planète, par les échéances qui nous sont fixées -pour la première fois de l’histoire de l’humanité, on ne se réjouit pas de l’avenir et du progrès qui va avec. En parallèle, j’ai subi une opération du cœur, j’avais donc besoin d’exorciser les pensées mortifères qui m’avait traversé durant cette période. Tout ça a abouti à cette idée d’une société où les gens sont habités par un sentiment de fin du monde. Comment vit-on avec ça ? Comment s’y prépare-t-on ? En même temps, je souhaitais être positif et évoquer ma foi en l’homme. C’est en définitive un film, je pense, assez lumineux et très personnel, une vraie mise à nu. Je suis devenu Gilou.

Il y a plusieurs constantes dans ta filmographie : l’absurde, le scope, les grands espaces, le vide, les couleurs désaturées, les références au western… Ce sont des principes inaliénables à partir desquels tu imagines tes histoires à chaque fois ?
Pour l’instant, ça ne me paraît pas possible de revenir à un cadre plus serré. J’ai par ailleurs besoin d’inscrire mes personnages dans des décors que je repère avant d’écrire. Il y a toujours des errances dans mes films, c’est maladif… Ces grands espaces sont intimement liés à mon rapport à la peinture. Depuis que je suis petit, le cadre large et les paysages font partie de mon existence.

Des paysages plats, plutôt.
Oui, et même montagneux. J’ai revu par hasard Rambo récemment dont l’image m’a étonné. Tous ces flics habillés en brun dans la montagne, c’est très beau.

Les paysages désolés dans ton film correspondent-ils à ta vision de la Belgique ?
Figure-toi que nous avons tourné en France, dans la Beauce, région qu’on ne connaît que si on tombe en panne ! (rires) Dans un train Toulouse-Paris, j’ai aperçu cette espèce de rampe de lancement qui ressemblait à un aqueduc. J’ai eu un flash : deux gars qui marchaient là-dessus. Pendant deux ans, nous avons arpenté la Beauce, terrain de jeu insensé avec des gares céréalières qui ne fonctionnent que la moitié de l’année, des silos à grain tout à fait vides… On ne trouve plus ce genre de décors en Belgique. La Wallonie désertique est en pleine reconstruction, les friches industrielles disparaissent, la patine avec. À la place, il y a des ZUP sans caractère. C’est très difficile pour moi de tourner là-bas.

La parenté avec le western est évidente dans tes films, dans celui-là en particulier. J’ai aussi pensé à Mad Max.
Ah oui ? J’associe tellement Mad Max à la chaleur et à la soif que ça ne m’a pas traversé l’esprit ! (rires) Je voix ce que tu veux dire, le côté crépusculaire, les bagnoles pourries… Cela dit, quand tu regardes bien l’histoire du cinéma, elle regorge de types patibulaires et de bagnoles pourries.

As-tu pensé à des westerns en l’écrivant ?
Oui et non. Je savais que les codes du western seraient plus assumés dans ce film et, un an avant de mettre à écrire, j’ai revu plus de 130 westerns, les mauvais, les bons, les spaghettis, les post-modernes, etc.

Ce n’était pas anodin quand même.
Oui, mais je n’ai pas écrit de western à l’arrivée. Mon prochain, qu’on va également assimiler au polar, se servira lui aussi du genre comme excuse pour raconter encore quelque chose de familial.

La parenté avec le western est  tout de même renforcée par le prénom de Dupontel dans le film, Cochise.
Nous sommes tous imprégnés de culture américaine. La péniche voisine de la mienne est habitée par des motards dont l’un d’eux s’appelle Cochise. Des Hells, tu vois… Je leur rends hommage en quelque sorte –avec leur consentement- d’autant que, dans mon esprit, Cochise et Gilou sont d’anciens motards. J’aime bien les références aux références dans les films.

Willy et Esther, ces deux amoureux traqués, seraient-ils les cousins éloignés de Dimitri et Cathy, les personnages d’Ultranova ?
Je ne pense pas. Dimitri et Cathy forment un non-couple et sont très inscrits dans la société d’aujourd’hui. Esther et Willy sont totalement en marge, ils portent en eux une pureté qui est, pour moi, celle des premiers hommes. En même temps, ils ne sont pas si différents des autres car ce qui relie les hommes depuis la nuit des temps, c’est le besoin viscéral de constituer une cellule familiale, obsession qu’on retrouve dans tous mes films.

Pour la première fois, tu bénéficies d’un casting haut de gamme. Cela voudrait-il dire que tu vises un public plus large ?
Dans les autres films, ça ne se justifiait pas d’avoir des noms. Ici, j’avais la possibilité d’avoir un beau casting, je ne m’en suis pas privé. J’ai pris des gens connus mais pas formatés. Max Von Sydow a la carrière internationale qu’on sait, Michael Lonsdale est un peu à part dans le cinéma français, Suzanne Clément est québécoise. Et puis, il y a toutes ces gueules que j’aime et qu’on ne voit pas assez souvent : Serge Riaboukine, Lionel Abelanski, Philippe Rebbot…

Comment on arrive à avoir l’immense Max Von Sydow dans son film ?
Il vit en France, ça facilite les choses. On lui a fait parvenir le scénario, il l’a lu, je suis allé le voir à Nice, et voilà. Ça a été très simple. Nous sommes devenus très proches, c’est un peu mon papa. Max travaille à l’ancienne : il avait trois jours de tournage mais m’a posé quarante questions sur son personnage ! On parle quand même d’un gars qui va faire Star Wars, puis Game of Thrones. L’élégance incarnée. Comme Michael Lonsdale. Ils n’avaient d’ailleurs jamais tourné ensemble. J’en suis assez fier.

Avec Dupontel, c’est une évidence depuis toujours ?
C’est une vieille histoire, oui. On s’est rencontrés il y a quinze ans sur un film belge, Petites misères, où jouait aussi Marie Trintignant. Il m’a ensuite dirigé dans ses films, on a fait les Kervern-Delépine… Avant Les Premiers, les Derniers, je n’avais pas eu de rôles à lui proposer. J’ai donc sauté sur l’occasion.

Malgré leur noirceur, tes films sont assez moraux. Ne t’inscrirais-tu finalement pas dans la lignée des grands conteurs hollywoodiens des années 30-40, les Capra, Preston Sturges et autres ?
J’ai l’âge où je peux exprimer un point de vue plus affirmé sur la société. Ça m’habite en permanence. Je suis croyant aussi et je trouvais important d’injecter ça dans le film -sans faire de prosélytisme car je crois avant tout en l’homme. Je laisse le cynisme aux politiques. C’est du luxe, le cynisme. On vit une époque où il n’a plus sa place.

Tes films n’ont pas été des gros succès jusque-là en France. Est-ce une souffrance ?
C’est un déplaisir. On est dans un monde où on associe tout aux chiffres donc tout m’y ramène en permanence. Je n’ai cependant pas à me plaindre. Mes films sont diffusés dans le monde entier, j’ai mon public, je tourne. Sans compter que les films ont aussi des vies parallèles. Les Géants n’a pas marché en salles en France mais il est rentré dans les programmes scolaires et, chaque année, des milliers de collégiens le découvrent au cinéma. @chris_narbonne