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Yann Arthus-Bertrand, 69 ans, est un homme atypique. Photographe et reporter reconnu, animateur télé sympathique, réalisateur tardif, écologiste militant, aussi populaire que décrié pour son agitation médiatique et ses prises de position ambiguës, il fascine, galvanise ou irrite, il ne laisse en tous cas pas indifférent.Six ans après Home, son cri d’alerte sur l’état de notre planète, il revient avec Human, un projet d’une ambition folle, entièrement financé par la Fondation Bettencourt Schueller, qui donne la parole à des hommes et des femmes de tous les continents qui racontent, face caméra, leurs joies et leurs malheurs. Entrecoupé d’images vues du ciel inédites, Human est un documentaire-somme de 3h15, qui renvoie de YAB l’image d’un humaniste un peu mégalo (partant le lendemain à New York pour une avant-première à l’ONU…), à la fois visionnaire et naïf, convaincu et contradictoire. Les jambes allongées sur un sofa, la tête en arrière, le tutoiement spontané, il entame la conversation avant même que vous lui posiez une question…Yann Arthus-Bertrand : Ça m’énerve, comme la projection de presse était tardive, la plupart des journalistes ont vu le film sur un ordinateur…Premiere : C’est mon cas, oui.C’est dommage, tu aurais pu le voir ici (au Club 13, une salle de projection privée parisienne)… Vous êtes censés défendre le cinéma contre la télé et internet, et finalement vous regardez sur un petit écran ! J’ai voulu ce film pour la salle. J’ai d’ailleurs envoyé une lettre aux exploitants pour leur expliquer ma démarche et ils ont été très réceptifs. Human va finalement être diffusé dans 545 salles, je n’en reviens pas ! Ils ont joué le jeu alors que c’est un film difficile qui va être multidiffusé.Vous parlez de cinéma. Mais, comme pour Home, on a du mal à cataloguer Human(coupant) Je n’ai pas voulu refaire la même erreur qu’avec Home dont la sortie mondiale unique (120 télévisions l’avaient diffusé en même temps) avait tué l’exploitation en salles. Pour Human, on donne un mois d’exclusivité aux cinémas et on a imaginé des propositions différentes (making of, coulisses, versions longues…) pour la télévision et pour le web, en accord avec nos partenaires France Télévisions et Google.« Human avait sa place en ouverture de Cannes »Vous n’avez pas peur de perdre le spectateur avec toutes ces offres ?Peut-être. Tu sais, c’est un test grandeur nature qu’on peut se permettre parce que le film est intégralement financé par la Fondation Bettencourt Schueller… Aujourd’hui, tu ne peux plus jouer les médias les uns contre les autres. L’avenir du cinéma passera par ces formes de diffusion hybrides, sinon il mourra. Cela étant dit, ma version préférée est celle qui sera diffusée en salles.Human est présenté hors Compétition à Venise. C’est une forme de consécration ?Quand un film passe dans un grand Festival, il a plus de chances d’exister en tant que film, c’est une évidence. J’aurais adoré que Human fasse l’ouverture de Cannes. Il avait sa place. C’est un film dans l’air du temps, je ne sais pas ce que tu en penses ? Le problème, c’est qu’on n’avait pas derrière nous de producteur qui le poussait.Vous en avez parlé à Thierry Frémaux ?Je l’ai harcelé, oui ! (rires) Il est sympa, d’ailleurs, mais manifestement, le documentaire, ce n’est pas son truc. Pour être honnête, le film n’était pas vraiment prêt.À quand remonte cette idée folle de Human ?En travaillant il y a quelques années sur le projet 6 Milliards d’Autres, j’étais tombé en panne d’hélicoptère dans un petit village où les gens m’avaient raconté leurs vies. Ces rencontres m’avaient rendu moins con... Puis un jour, j’ai vu Tree of Life de Terrence Malick. Ce mélange d’histoire intime et de création du monde a résonné en moi. J’ai pensé aussi, bien sûr, aux films « Qatsi » (Koyaanisqatsi et Powaqqatsi) de Godfrey Reggio produits par Coppola dans les années 80 et mis en musique par Philip Glass. Ce sont les premiers films écolos au monde. Je les ai vus et revus avant de faire Human.Il y a comme une communauté d’esprit entre vous, Malick, Reggio et Ron Fricke (Baraka), non  ?Totalement. Même si on ne se connaît pas.« C’est peut-être Malick qui est flatté d’avoir mes images »Il se dit qu’il y des images à vous dans Tree of Life. Bien sûr. Un jour, Luc Besson (producteur de Home et distributeur en France du Malick) m’a demandé si j’étais disposé à vendre des images pour Tree of Life. J’ai accepté, en les donnant gratuitement. Un mec comme Malick, tu ne lui vends pas des trucs. J’aimerais bien lui montrer Human, tiens.Allez-vous lui redonner des images pour son documentaire, Voyage of Time ?Luc Besson lui a demandé s’il en souhaitait, je crois. Je sais qu’il y aura dedans des images faites par les équipes de Jacques Perrin.Ca vous flatte qu’il vous sollicite, via Luc Besson ?Pas du tout. C’est peut-être lui qui est flatté d’avoir mes images (rires) ! Maintenant que tu m’en parles, je me dis que ça aurait été bien qu’il m’envoie un petit mot de remerciement.Revenons à Human. Comment avez-vous procédé pour « caster » tous ces témoins venus des quatre coins du monde ?C’est un travail de fixeur, de journaliste. Quand on décide de travailler sur la guerre, on se dit qu’on va aller au Rwanda, au Cambodge, en Centrafrique, en Ukraine, en Palestine… C’est beaucoup de boulot.La plupart des images vues du ciel et toutes les interviews ont été déléguées à vos collaborateurs. Vous considérez-vous comme le réalisateur au sens premier du terme ou comme une sorte de grand ordonnateur ? Ordonnateur, ça me va bien. Je décide beaucoup de choses, mais, au final, un film, c’est un travail d’équipe. Les réalisateurs ne tournent pas tout dans leurs films, il y a souvent des images de paysages confiés à des réalisateurs de secondes équipes. Dans le cas précis de Human, j’ai donné 50% des droits du film aux monteuses parce qu’elles ont travaillé sur 2000 heures de rushes pendant trois mois : elles ont littéralement inventé le film avec moi.C’est un film très long. L’avez-vous conçu pour que les gens le voient par tranches ?Absolument pas. C’est une expérience à vivre à plusieurs. Je déteste quand les gens partent avant la fin !« Ne pas aimer Human, c'est ne pas aimer les gens »Vous ne trouvez pas que le film manque un peu d’espoir ?J’aime bien quand on pleure au cinéma. C’est ma culture Paris Match, comme dirait mon fils !Quel but poursuivez-vous à travers votre œuvre ?J’ai envie qu’on se sente plus humain. Réussir sa vie d’homme, c’est plus difficile que réussir sa vie professionnelle. Je suis un enfant gâté, choyé, j’ai envie de donner. Le bon sentiment n’est pas ringard.On vous critique beaucoup là-dessus. Que répondez-vous à vos détracteurs ?J’ai lu dans L’Obs un article qui critiquait le lancement de mon film sans l’avoir vu. J’ai appelé le journaliste qui m’a répondu qu’il fallait rendre les papiers un peu « piquants ». Les gens ont du mal à aimer complètement ce que je fais, il rappelle toujours que j’ai survolé le raid Paris-Dakar en hélico, que j’ai soutenu la Coupe du Monde de foot au Qatar…Mais vous comprenez quand on vous reproche qu’il y ait de l’argent qatari dans Home.Mais arrête, c’est n’importe quoi… Quand j’ai fait Home, à un moment, il me manquait un million d’euros. Un jour, je rencontre une représentante du Qatar à qui je demande si elle veut acheter les droits du film pour les pays arabes, elle verse l’argent à Besson, et voilà. Je n’ai rien touché de sa part. À propos de cette fameuse Coupe du Monde, je trouvais sincèrement ça chouette les stades démontables, la compensation carbone mise en oeuvre.... J’ai fait une connerie. Ça me poursuit.Vous n’avez jamais envisagé de faire de fictions ?Je serais incapable de travailler avec des comédiens. Quant au documentaire classique au cinéma, c’est mort.Que pensez-vous de la voie intermédiaire prise par un Werner Herzog, par exemple ?J’adore ! Grizzly Man, quelle claque ! Il lui arrive aussi de se planter : le film sur la grotte Chauvet, c’est une merde sans nom… J’ai une admiration sans bornes pour lui, plus que pour Malick.Avez-vous des projets en cours ?Après un projet comme Human, tu as du mal à te projeter sur autre chose. C’est le film de ma vie, il me dépasse un peu. C’est spirituel et profond ; pas grâce à nous, mais grâce aux gens qui témoignent dedans. Ça ouvre la voie à une nouvelle forme de cinéma, j’ai l’impression. Je ne comprends pas ceux qui ne l’aiment pas. Ah bon, vous n’aimez pas les gens ? (rires) C’est complétement con, j’avoue !Christophe NarbonneHuman sort dans toutes les salles de France le 12 septembre puis sur France 2, puis toutes les plateformes vidéos.