The Green Knight
Prime Video

Rencontre avec le réalisateur, alors que The Green Knight débarque sur Prime Video.

Qui est David Lowery ? Un végan, un athée, un ex-moustachu, un hipster, un pote de Casey Affleck, un quadra, un réalisateur Disney, un cinéaste arty et indé. Difficile de mettre le doigt sur l’énigmatique bonhomme, qui contente sans efforts apparents les cinéphiles les plus avertis (Les Amants du Texas, A Ghost Story) et le grand public (The Old Man and the Gun, Peter et Elliott le dragon et bientôt Peter Pan et Wendy). Après trois ans de silence, il revient avec The Green Knight – diffusé en France sur Prime Video –, inspiré d’un poème arthurien du XIVe siècle. L’histoire de Sire Gauvain (Dev Patel), chevalier de la Table ronde, confronté au défi lancé par le mystérieux Chevalier vert. Vie, mort, temporalité et storytelling : Première est allé demander à David Lowery ce qui agitait son cinéma.

Comment naît un film chez vous ? Par une image ? Un thème ?
David Lowery
: Le plus souvent, c’est la combinaison d’une image et d’une question. Mais ce n’est pas une règle : pour The Green Knight, j’ai simplement visualisé un plan large d’un chevalier sur un cheval. Tout est venu de là, l’esthétique du film s’est ensuite développée naturellement au cours du processus d’écriture. Et parfois, c’est une pure idée de scénario. Tenez : je travaille en ce moment sur le script d’un film de science-fiction, et ce qui me fait avancer, c’est l’idée centrale. Un truc vraiment tordu, complexe, bizarre... que je ne sais pas du tout comment synthétiser dans un film ! Je cherche tout en écrivant, je n’ai pas une histoire claire en tête à chaque instant. En tout cas, je ne sais jamais à quoi ressemblera la structure en trois actes. C’est toujours quelque chose de bien plus abstrait que ça. 

Tous vos films ont en commun de réfléchir sur le storytelling, de s’interroger sur ce qu’est une histoire et comment on la raconte. C’est quelque chose de très conscient chez vous ?
Intéressant. C’est vrai, et ce n’est pas un hasard si beaucoup de mes films contiennent de longues scènes dans lesquelles un personnage raconte à un autre une histoire. Mais pas dans celui-ci, puisque le personnage principal n’a rien vécu, il n’a justement pas d’histoire à raconter. C’est un moyen d’aller à l’encontre de ce que je fais d’habitude. Et en même temps, c’est un film sur quelqu’un qui recherche une quête, donc ça parle forcément de storytelling. Disons que je suis très conscient de mes objectifs quand j’écris, mais quand je relis mes scripts, je me demande parfois si je savais vraiment ce que je faisais. Je crois beaucoup à l’inconscient au cinéma, aux intentions qui se manifestent de façon subliminale quand on écrit ou qu’on filme quelque chose. Alors je laisse naître tout ce qui peut l’être. Sur The Green Knight, je me suis rendu compte au montage qu’il y avait beaucoup plus dans le script que ce que je m’imaginais. Mais à mon avis, ça vient bien plus de la profondeur du poème dont je m’inspire que de moi ! 

The Old Man and the Gun et A Ghost Story étaient portés par des discours théoriques très forts sur leurs propres sujets. The Green Knight s’émancipe de cette métaréflexion. Pourquoi ?
Parce qu’il n’était pas question de subvertir le genre arthurien ou de le regarder avec un œil critique. Il y a quelque chose d’ironique dans A Ghost Story qui est totalement absent de The Green Knight. A Ghost Story est une exception dans ma filmographie. Peut-être qu’avec The Old Man and the Gun, je nourrissais une discussion sur le genre même du film, et sur ce qu’incarne Robert Redford. Mais dans The Green Knight, je suis limité par les frontières de ce monde, même si j’essaie de percer quelques trous dans la structure. Il y a une scène dans laquelle je voulais faire vivre les personnages dans une maison contemporaine et leur faire porter des vêtements d’aujourd’hui. Le parti pris me semblait acceptable dans le cadre du film. Mais j’ai résisté, parce que c’était un anachronisme pour le plaisir de l’anachronisme, et que ça aurait mis à mal l’univers sur lequel on a travaillé si dur. J’aurais ouvert la porte à un discours théorique dont le film n’avait pas besoin. 


En regardant votre filmographie, partagée entre des films Disney et des œuvres destinées à une niche de cinéphiles, on pourrait croire que vous suivez à la lettre la stratégie du « one for them, one for me ». Mais j’ai l’impression que c’est autre chose qui vous anime...
Je vois très bien pourquoi ça peut donner cette impression, car c’est évidemment une réalité pour certains réalisateurs. Sauf que les deux films de studio que j’ai faits avec Disney sont tout aussi personnels, si ce n’est plus, que les autres. Peter et Wendy [son prochain long métrage Disney], c’était le film le plus important que je pouvais tourner à ce moment-là de ma vie. Vraiment. Après, je sais où je mets les pieds et quelles sont les contraintes : je fais un film pour les enfants et pour que des familles puissent partager un moment ensemble. Et pour ça, on me donne un budget très conséquent et une centaine de jours de tournage pour exécuter ma vision. Et alors ? Je n’en ai absolument pas honte et je n’ai pas l’impression de me vendre. C’est même nécessaire pour moi en tant que cinéphile qui a adoré des tas de gros films de divertissement. Et si je fais bien mon job, je crois même que l’expérience fait de moi un meilleur réalisateur. Parce que j’y aurais appris de nouvelles techniques et d’autres façons de m’exprimer. 

Votre processus de création est donc le même pour un film indépendant et un film de studio ?
À l’exception des outils et du budget à ma disposition, c’est rigoureusement le même ! Je ne peux pas tracer de frontière entre les deux. Ils sont faits du même bois et j’ai l’impression de suivre la même voie à chaque fois. Et j’adore l’idée que des histoires qui comptent autant pour moi puissent être racontées sous la bannière d’un studio comme Disney.

Est-ce que l’image que les critiques et la presse renvoient de vous, celle d’un défricheur surdoué, influence votre façon de tourner, votre radicalité ?
Non, et je suis incapable de vous dire si c’est une bonne chose. Je ne lis pas les critiques ou les articles sur moi. Si je vois mon nom sur internet, je ferme immédiatement le navigateur. Je considère que mes deux meilleurs films sont A Ghost Story et mon court métrage Pioneer. C’est le summum de ce que j’essaie de faire en tant que réalisateur. Mais je ne veux pas trop y penser... Par exemple, j’avais déjà tourné The Old Man and the Gun quand A Ghost Story est sorti. Et je ne suis pas sûr que j’aurais pu faire ce film après A Ghost Story, à cause de toutes ces réactions positives. La pression aurait été trop forte. Tout ça m’a rappelé de ne pas trop conscientiser les choses, sinon je serais incapable de suivre mes lubies comme elles le méritent. Je préfère être sincère avec moi-même : si j’ai une idée, je vais la suivre et voir ce qui en naît plutôt que de coller à ce que les gens attendent de moi. Penser trop à la façon dont le public va répondre à mon œuvre m’obligerait au final à essayer de faire plaisir à quelqu’un qui n’existe pas.

À quel moment votre gestion si particulière de la temporalité et de la longueur des plans s’invite dans votre mise en scène ?
C’est quelque chose qui est à la fois très écrit et très improvisé. Je m’explique : je peux avoir précisément détaillé une scène dans le script, et décider au moment du tournage de doubler sa durée. Et généralement, ce qui me fait changer d’avis est une combinaison du lieu – qui m’inspire plus que je ne le pensais – et de la performance de l’acteur ou l’actrice que je filme. Ce qu’il faut comprendre, c’est que ce qui m’anime en tant que réalisateur est de toucher du doigt la crise existentielle d’un personnage, ou au moins de défier les spectateurs sur ce qu’ils attendent de l’expérience cinématographique. Je vois le cinéma comme une forme d’art métaphysique dont je veux tester les limites, découvrir ce qui peut être mis en images et que je ne pourrais pas exprimer avec des mots. La gestion du temps au cinéma, c’est fascinant, parce que ça peut faire naître une émotion très forte tout comme mettre les spectateurs dans une position inconfortable. J’ai l’impression que tous nos troubles existentiels résident dans notre rapport au temps. Et j’aime utiliser cette matière pour que le langage cinématographique réponde à mes propres obsessions.

Vous parliez du cinéma comme d’un art métaphysique. Est-ce que vous n’abordez pas tous vos films sous l’angle de cette interrogation : qu’est-ce que ça signifie d’être en vie en tant qu’être humain ?
C’est une interprétation tout à fait valable mais je ne sais pas si je le dirais ainsi. J’évoque effectivement toujours la question de l’existence : « Qu’est-ce que tu veux accomplir avant ton dernier souffle? Qu’est-ce que tu veux laisser derrière toi ? » Enfin là, je tourne ça de manière extrêmement pessimiste. (Rires.) J’aime bien votre formulation. J’essaie de tendre vers ça. De vivre l’instant présent. C’est dur, parce que je passe bien trop de temps à penser à la mort. Vous regardez les choses sous un angle que je n’arrive pas à voir... Je vous envie !

The Green Knight, disponible sur Prime Video.

The Green Knight : David Lowery nous fait perdre la tête [critique]