Drive my car de Ryûsuke Hamaguchi
Diaphana

Drive my car, un des plus grands films de la dernière édition cannoise est reparti avec le Prix du scénario. Il sort ce mercredi. Rencontre croisette avec son auteur.

C’était le film au long cours de la dernière édition cannoise qui a vu Titane repartir avec les suprêmes lauriers. A l’heure où nous faisions cet entretien face à la méditerranée dans le « bunker » croisette à la vieille du palmarès, nous pensions sérieusement tenir avec ce Drive my car du japonais Ryûsuke Hamaguchi, le grand gagnant. Le Prix du scénario lui va toutefois bien. Cette adaptation d’une nouvelle d’Haruki Murakami s’étire sur trois heures et dessine une courbe des sentiments humains qui en fait le film le plus riche dramatiquement de la dernière édition. Sous l’égide de Tchekov dont la prose infuse toutes les strates du récit, il est question ici de passion fatiguée, d’inspiration renouvelée, de culpabilité tenace, de vengeance abîmée et d’une… voiture rouge qui transperce le paysage donnant des couleurs à ce tableau volontairement sombre. Drive my Car raconte la façon dont un metteur en scène de théâtre meurtri à la mort de sa femme va essayer de comprendre ce qui reste d’elle et d’eux, en acceptant de travailler à une adaptation d’Oncle Vania. Le cinéaste de 42 ans, révélé par le film-somme Senses (2018) avait déjà présenté au Festival de Cannes, Asako I & II (2018).

Que reste-t-il de la nouvelle d’Haruki Murakami dont vous adaptez ici une nouvelle issue de son recueil Des hommes sans femme ?

Ryusuke Hamaguchi : Difficile de répondre avec précision car j’ai évidemment pris certaines libertés avec le texte original. L’un des aspects auquel je tenais était de respecter la caractérisation des deux personnages principaux, Yusuke et Misaki, qui ont des principes et surtout une ligne de conduite très précise. Je n’ai gardé au final qu’une seule réplique du texte original, celle que dit le jeune comédien à son metteur en scène dans la dernière partie : « Pour comprendre les autres, il faut d’abord pouvoir se regarder en face. » Cette phrase c’est l’esprit même de la nouvelle et donc de mon film.

L’autre grand auteur « présent » dans le film, c’est Anton Tchekhov et sa pièce Oncle Vania dont on suit ici les répétitions…

Cela rejoint la précédente question, puisque si Oncle Vania est citée dans le texte de Murakami, elle n’occupe pas une place aussi centrale que dans le film. Elle n’apparait que dans les séquences de voiture avec l’écoute dans l’autoradio de la lecture de la pièce enregistrée par la femme du metteur en scène.  Ce qui me plait chez Tchekhov et dans cette pièce en particulier, est la façon dont le texte révèle quelque chose chez l’acteur que celui-ci n’a pas forcément conscience. La seconde partie du film se concentre principalement sur le théâtre et je voulais exacerber cette révélation sur les êtres. La nouvelle de Murakami ne fait qu’une cinquantaine de pages et se termine brutalement. Je cherchais au contraire une vraie résolution et en cela Oncle Vania m’a beaucoup aidé. La pièce se termine avec une formidable idée d’espoir. « Nous vivrons, nous travaillerons. » C’est par le travail que mon héros peut envisager l’avenir et accepter la mort de sa femme. Il se réapproprie sa vie par le texte de Tchekhov, en tant que metteur en scène d’abord puis en tant qu’acteur puisqu’il accepte de remonter sur scène.

CRITIQUE DRIVE MY CAR DE RYUSUKE HAMAGUSHI

L’une des stars du film est la voiture d’un rouge vif qui occupe une place centrale et électrique dans le cadre…

Dans la nouvelle c’était déjà une SAAB mais décapotable et jaune. Or le jaune est une couleur qui se fond plus facilement dans un décor urbain contrairement au rouge qui détonne plus. Or je voulais attirer le regard. Je me souviens que nous sommes allés chez un loueur pendant la préparation du film pour choisir la voiture. Nous en étions encore à l’idée d’une SAAB décapotable jaune quand le loueur a débarqué avec sa voiture rouge extrêmement bien entretenue. J’ai eu une évidence. Nous l’avons Il faut aussi préciser que si nous avions opté pour une voiture non décapotable, il aurait été impossible d’enregistrer les dialogues en son direct.

L’action se passe principalement à Hiroshima, ville forcément chargée d’histoire, pourquoi ici précisément ?

Ce choix est un hasard. Nous devions initialement tourner ailleurs. Je voulais que le personnage principal puisse se rendre dans un festival international de théâtre pour participer à cette résidence d’artiste. Nous avons décidé de tourner à Busan en Corée du Sud mais la pandémie de Covid nous a obligés à tourner à l’intérieur même du Japon. Il nous fallait à tout prix fuir Tokyo où un tournage embarqué dans une voiture est une vraie galère. Obtenir une autorisation de la ville est, en effet, un véritable chemin de croix. L’idée de tourner à Hiroshima m’a été soumise par mon producteur. D’une part la commission du film sur place est très accueillante et facilite beaucoup de choses. En me rendant sur place, j’ai été aussi séduit par la lumière très particulière et l’architecture très géométrique de la ville. Evidemment le symbole lié à la ville est un peu lourd, en même temps il est impossible de l’éviter. Or dans le film, il est beaucoup question de la responsabilité de chacun des personnages. Prenez le héros qui est d’abord présenté comme une victime. Il découvre que sa femme le trompe, puis celle-ci meurt brutalement. Petit à petit, il essaie de renverser les choses et va nourrir une certaine culpabilité vis-à-vis de ce drame. Dans une relation amoureuse, la responsabilité est toujours partagée. Quand quelque chose ne fonctionne pas, il faut savoir se remettre en question. En cela, le drame d’Hiroshima prend une résonnance particulière. Quelle est la part de responsabilité du Japon à cette époque-là ? Comment en sommes-nous arrivés là ?

Votre mise en scène est extrêmement précise. Comment l’envisagez-vous, notamment dans la composition de vos cadres ?

Je préviens toujours mes chefs opérateur que la caméra ne doit pas prendre le pas sur les mouvements des comédiens, mais l’inverse. Un beau plan ne m’intéresse pas. Je veux que mes comédiens puissent s’exprimer et donc bouger librement. L’histoire prime toujours sur la technique.  Je ne veux pas être dépendant du talent de mes chefs opérateur dans ma mise en scène. Résultat, je change de technicien presque à chaque film.

Drive my car de Ryüsuke Hamaguchi. Avec: Hidetoshi Nishijima, Toko Miura, Reika Kirishima... Diaphana. Durée: 2H59. Sortie le 18 août.