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Ou comment Kathryn Bigelow et James Cameron ont inventé Keanu Reeves. Et Fast & Furious.

Après les succès consécutifs de Terminator et Aliens, James Cameron évoque son envie de devenir aussi producteur. Le fantasme d'une usine a rêves de films portant sa marque, façon Spielberg, agite son fandom, mais une question reste sur toutes les lèvres : quel réalisateur pourrait bien être à la hauteur des deux premiers films du maitre au point qu'il lui confie les rênes d'un projet, alors qu'il pourrait lui-même le réaliser, on l'imagine, en mieux ? La réponse : aucun. C'est une réalisatrice, Kathryn Bigelow, qui va accéder à ce poste, se qualifiant en un film magistral, Aux Frontières de l'aube, dans lequel elle subtilise littéralement à Cameron le cast d’Aliens (Bill Paxton, Jeanette Goldstein et Lance Henricksen) en plus du directeur photo de Terminator Adam Greenberg. Intrigué, James Cameron la rencontre, et la dirige même sur le clip vidéo de Martini Ranch (le groupe de Bill Paxton), "Reach", qu'il réalise sous le pseudonyme de Frances Harley. "Je suis sans doute tombé amoureux d'elle pendant le tournage de ce clip" expliquera-t-il des années plus tard. Alors qu'il tourne Abyss, Bigelow tourne de son côté Blue Steel avec Jamie Lee Curtis (que Cameron castera quelques années plus tard dans True Lies), film dans lequel elle utilise aussi les services du compositeur de la musique de Terminator Brad Fiedel, et Cameron fait des allez retour le week-end entre la côte Ouest et la côte Est.

La symbiose artistique est telle que le couple se met bientôt en quête de sujets sur les lesquels ils pourraient travailler ensemble. Le scénario d'un projet abandonné de Ridley Scott, "Johnny Utah", écrit par W. Peter Iliff et le réalisateur Rick King, atterrit bientôt sur leur bureau. Enthousiasmé, le couple s'en empare, et Cameron décide de le produire.

"Tom Cruise rejoint le FBI"

L'idée originale vient de Rick King qui a embauché ensuite W. Peter Iliff, qui est alors garçon serveur, pour l'écrire. "J'étais sur la plage à Los Angeles, en train d'apprendre à surfer, et je venais de lire une série d'articles de presse, qui racontaient que Los Angeles était devenu le centre des braquages de banque, parce qu'il était très facile ensuite de prendre une voiture et disparaitre sur les autoroutes" explique-t-il. "Et soudain dans ma tête, les deux se sont associés. J'ai pensé à des surfeurs qui braquent des banques. Et un agent du FBI qui les infiltre. L'idée n'était pas vraiment originale, mais vous savez quoi, il n'existe réellement que 10 types d'histoires différentes à raconter. J'ai eu ensuite l'idée que le gars du FBI finisse par aimer les méchants plus que les gens pour qui il travaille. Mon pitch, c'était "Tom Cruise rejoint le FBI"."

En réalité, l'idée d'un agent infiltré est tout droit tirée de la série radicale Wiseguy (en France, Un Flic dans la Mafia), produite par Stephen J. Cannell à partir de 1987 avec Ken Wahl, qui a révélé Kevin Spacey, sur laquelle toutes les séries "adultes" à venir dans les années 90 comme X-Files vont être modelées, et qui bouleverse littéralement le paysage télévisuel américain de la fin des années 80. Mais l'air de rien, ce jour là, Rick King invente non seulement le film Point Break, mais aussi indirectement la série entière des Fast & Furious !

Kathryn impose Keanu

Avec Cameron comme producteur exécutif, le projet décolle enfin. Le script, retitré Riders of the Storm, (il changera en Point Break au milieu du tournage), est lancé en production en 1990 et Bigelow insiste, contre l'avis de tous y compris James Cameron, pour caster Keanu Reeves dans le rôle principal. "A sa décharge, elle seule a vu qu'il était possible de faire de Keanu une star du cinéma d'action", expliquera Cameron des années plus tard. "Personnellement je n'étais pas convaincu du tout". Il n'était pas le seul : de manière similaire au casting de Bruce Willis dans Piège de Cristal, Keanu n'est alors pour la majorité du public que le jeune crétin mono-syllabique de Bill & Ted's Excellent Adventure. Pas la référence idéale pour une action star, mais si il sera, comme Willis, sifflé pendant les bandes annonces ou au commencement du film, il n'en sera rien une fois celui-ci terminé...

Alors que le tournage approche en mai 1990, Kathryn Bigelow n'est pas satisfaite du scénario, que Cameron accepte de réécrire alors qu’il doit rendre son script pour Terminator 2. "J'étais producteur exécutif du film, et je l'ai considérablement réécrit" expliquera-t-il un an plus tard à la convention T2, "le shooting script nous est dû a Kathryn et moi, même si nous n'avons pas reçu de crédit, un problème que j'ai avec la Writer's Guild... Mais Kathryn était ensuite à 100% responsable du film final une fois que j'avais remis le draft, puisque j'étais occupé à travailler sur Terminator 2".

Cameron impose sa marque

Signe de l'énergie incroyable de Cameron, il retaille le script juste avant ses 36 heures d'écriture non stop pour finir celui de Terminator 2. A ce moment là, le couple Cameron/Bigelow s'approprie alors totalement le projet. La marque de Cameron est partout : dans les scènes d'actions (le tir qui transforme un pistolet à essence en lance flamme dans la séquence de la station service est repris par exemple à l'identique dans True Lies 4 ans plus tard, la poursuite à pied entre Bodhi et Utah est un pendant de celle du canal dans Terminator 2... et se fini d'ailleurs dans le même canal !), les dialogues ("Peace through superior firepower"), mais aussi avec le personnage de Tyler joué par Lori Petty, au départ conçu comme une surfeuse blonde, qui devient plus "masculine" et typique des femmes fortes du réalisateur. Enfin et surtout on retrouve sa patte sur tout le dernier acte, dans lequel il utilise sa désormais formule à succès du triple climax : le dénouement se déroule donc en trois parties émotionnellement intenses, qui chacune pourrait voir le film s'arrêter là dans une autre production et chacune laisse le spectateur vidé : une première fois à l'aéroport, puis une seconde fois dans les airs quand Utah saute de l'avion sans parachute, et enfin une dernière fois quand Utah retrouve Bodhi 9 mois plus tard, pour un dénouement tout simplement culte. Enfin le mot "fuck" y est prononcé 105 fois.

Si Rick King au fil des années, exprimera des regrets sur un projet qui lui a échappé, le succès du film, qui sort dans la foulée de Terminator 2 et récoltera plus de 83 millions de dollars dans le monde, lui paiera sa villa grâce à ses royalties.

Au final, Point Break inspirera une pièce de théâtre Point Break Live!, dans laquelle le rôle de Johnny Utah est joué par un membre du public choisi à la dernière minute (il lit ses dialogues pendant le reste de la pièce), un remake assumé qui sort en salles mercredi, et la naissance d’une des franchises les plus juteuses des années 2010 : Fast & Furious. Vaya con Dios.

Voici une bande annonce de Point Break, l'original, diffusé ce soir à 20h50 sur France O, en attendant le remake, ce 3 février dans les salles.