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Résumé des épisodes précédents : après avoir créé la série des Arme Fatale, encaissé 1,75 millions de dollars pour Le Dernier Samaritain, réécrit Last Action Hero pour 1 million et vendu Au Revoir à Jamais 4 millions, le jeune scénariste Shane Black sombre dans le noir. Rapidement, l'ex wonder-boy est délaissé par ses amis et se retrouve le seul et dernier membre de son mythique club privé le Pad O'Guys, le RDC de sa maison ouvert "24h sur 24", dans lequel il accueillait les scénaristes et cinéastes en devenir.« Ils m'ont tous lâché pour faire leur vie ailleurs ou se marier » se lamente-t-il aujourd'hui. « Mon profil était trop public. C'était déjà difficile de vivre avec le succès, et ce fut encore pire de vivre avec l'échec (de Au Revoir à Jamais), qui a donné l'occasion a beaucoup de monde de se moquer de moi. J'ai commencé à recevoir des lettres de haine et d'insultes. Le cinéma est un business où l'on survit au jour le jour, sans garantie de succès continu. Vous avez dû entendre parler de Preston Surges, par exemple, qui était considéré comme l'un des plus grands en son temps, mais qui était très malheureux et est mort dans la misère. Pour survivre à Hollywood, il faut avoir la peau dure. J'étais trop sensible. »Silver : le dernier samaritainPresque 10 ans plus tard, oublié par Hollywood, Shane Black décide de se réinventer en scénariste-réalisateur avec le projet Kiss Kiss Bang Bang, qu'il porte pendant deux longues années sans arriver à trouver un producteur pour le financer. C'est finalement Joel Silver qui lui redonne une seconde chance, 20 ans après l’avoir lancé. Malgré sa réputation (on murmure que les producteurs hystériques dépeints dans True Romance et Swimming with Sharks seraient inspirés de lui), Silver semble en réalité être le vrai dernier samaritain - il a aussi joué un rôle important dans le come-back de Robert Downey Jr. en acceptant pour Gothika de retenir 40% de son propre salaire en garantie de la bonne conduite de l'acteur au passé alcoolique et drogué. Naturellement, Black caste très vite Downey Jr. pour le rôle principal de Kiss Kiss Bang Bang, un menteur et voleur pathologique, mais aussi Val Kilmer, autre acteur à la réputation difficile, dans celui du détective privé des stars gay vraisemblablement basé sur l'infâme Anthony Pellicano. Kiss Kiss Bang Bang est son dernier espoir de se remettre en salle. Black arrive sur le plateau ultra préparé : il a passé des heures à voir et revoir ces films préférés pour tenter d'en comprendre le mécanisme et a tout appris sur les focales et le montage. Il est étonnamment calme et en contrôle, au point qu'après quelques jours, Silver le laisse finir le film sans supervision, alors qu'il s'agit d'un "premier film".Dans le culteA l'arrivée, Kiss Kiss Bang Bang se révèle un film charnière dans la carrière de Shane Black : c'est la première fois qu'un de ses scripts est porté à l'écran sans aucune réécriture ou modification. Violence, romance, comédie, mystère, action : l'équilibre est enfin complètement intact et préservé. Le film est à la fois une lettre d'adieu rétro à une époque révolue, celle des vingt ans du scénariste / cinéaste, et un nouveau départ. Trop longtemps, Black n'avait pas été pris au sérieux, qualifié par la meute d'auteur "Pop-Corn" sans talent ni épaisseur. Tout change avec Kiss Kiss Bang Bang qui, s'il sort de manière confidentielle aux Etats-Unis, devient instantanément un film culte, et donne enfin à Black la crédibilité qui lui a trop longtemps fait défaut. Le monde semble tout à coup découvrir enfin qu'il s'agit de l'un des auteurs majeurs du cinéma de la fin du 20e siècle, et Black multiplie les interviews et conférences, livrant généreusement ses secrets de fabrications. Mais nous sommes désormais au 21e siècle et le cinéma d'action américain a muté, les gros bras et les flingues ayant été supplantés par les prouesses des super-héros inspirés de pulps, comics et mangas (et arrivent d’ailleurs tous dans le sillage de l'échec de Au Revoir à Jamais).Black : l’homme derrière l’armureAprès la sortie de Kiss Kiss Bang Bang, Black, qui avait insufflé un vent nouveau aux films d'action des années 80, glisse donc naturellement vers cet univers dont il a toujours été friand... et se retrouve à jouer les scripts doctors sur le premier Iron Man. Si on a, à tort, gonflé le rôle que Kiss Kiss Bang Bang aurait joué dans le casting de Robert Downey Jr. en Tony Stark dans Iron Man (comme indiqué plus haut, c'est Gothika qui a auparavant prouvé que l'acteur pouvait compléter un film sans problème majeur), on a ainsi, à contrario, minimisé la contribution de Black à Iron Man. La vérité est que deux personnes, dans l'ombre de Robert Downey Jr. et Jon Favreau, ont façonné la réussite du blockbuster de 2008 : Black, pour les premier et second actes du script, et J. J. Abrams pour le final. « Nous avions deux téléphones rouges sur le projet Iron Man » avouait récemment Robert Downey Jr., « un avec J. J. Abrams pour le troisième acte du film, et un avec Shane Black pour le reste. Par exemple la scène où Tony Stark revient de captivité, mange un cheeseburger, demande à tout le monde de s'asseoir et livre son speech, est entièrement de Shane Black ». En 2007, Downey Jr. et Favreau ont en fait passé quatre jours dans la maison de Shane Black, à retravailler entièrement le scénario avec lui. Il est facile de voir où le scénariste a posé son empreinte : toute la partie dans la cave, menant à la construction de la première armure, avec ses gags (le terroriste tirant à bout portant sur Iron Man tué par le ricochet de sa propre balle), la scène hilarante où Stark est propulsé dans le mur en sous-estimant la puissance de ses réacteurs, celle où il tire sur un tank et part sans le regarder exploser derrière lui, ou bien celle où il neutralise d’un seul coup cinq terroristes détenant des otages, sans oublier l'inénarrable dialogue d'ouverture avec les marines dans la voiture… C'est du pur Shane Black 80's. Lorsque récemment, le producteur Kevin Feige a indiqué que Black avait contribué au premier épisode de la saga, la nouvelle a fait le tour de la toile comme s'il s'agissait d'une révélation inédite. Hors, trois ans auparavant, Black avait déjà avoué en interview avoir été impliqué dans son écriture, et dans l'industrie, tout le monde était déjà au courant. Une boule dans un jeu de quillesSuite à la sortie d'Iron Man, Black s'est vu naturellement confier d'autres projets comic-books ou pulps, qu'il tente d'approcher en tant que scénariste ET réalisateur : une adaptation de Doc Savage, produite par Neil Moritz (Fast & Furious), une du manga japonais Death Note, qu'il développe pour Warner sans se priver de se moquer des exécutifs de la boite en interview (ces derniers lui demandent d'enlever tout ce qui fait l'intérêt du manga, ce que bien évidemment il refuse), et une adaptation en série pour le câble de Au revoir à Jamais – comme tout le monde, Black connaît la liberté qu’offre aujourd’hui la télévision par rapport au cinéma. « Pour Doc Savage », confie-t-il, « le challenge est de faire un film adulte. Je suis très déçu par les films d'action d'aujourd'hui, d'un très bas niveau, et j'ai envie de retrouver le souffle épique des Aventuriers de l'Arche Perdue, de recapturer cette magie. Quand j'avais 18, 19 ans, je faisais la queue deux ou trois heures pour aller voir ces films avec mes amis, et on savait qu'on allait en avoir pour notre argent ! On se prenait les films dans la figure ! Et de rares fois, on sortait en disant "Arg, Indiana Jones 2 est moyen, ça valait pas le coup d'attendre trois heures !". Aujourd'hui, c'est le contraire. On est rarement agréablement surpris. Il y a une réelle baisse de qualité dans les films de super-héros. C'est donc irrésistible, pour moi, de venir balancer une boule dans ce jeu de quilles, de remuer un peu cette mélasse, ou tout au moins, vous présenter mon opinion de ce que ces films devraient être... »La réponse dans Iron Man 3, dans les salles le 24 avril 2013.David Fakrikian         Les épisodes précédents : - De L'Arme fatale à Au revoir à jamais : l'âge d'or-De Au revoir à jamais à Kiss Kiss Bang Bang : les années noires