Comment Phantom Thread est devenu un petit phénomène pop
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Le chef-d’œuvre de Paul Thomas Anderson arrive sur Arte.

En attendant Licorice Pizza, dont on vient de découvrir la bande-annonce, la dernière réalisation de Paul Thomas Anderson, Phantom Thread, arrive en clair à la télévision, sur la 7e chaîne ce dimanche, suivie d'un documentaire inédit sur son acteur principal, Daniel Day-Lewis. Sortie en 2017 au cinéma et début 2018 en France, elle n'avait pas laissé la rédaction de Première indifférente. D'ailleurs, elle a fait beaucoup de bruit lors de sa diffusion au cinéma, entraînant de multiples discussions, "memes" et parodies.

Phantom Thread : un Paul Thomas Anderson de haute couture [Critique]

Malgré ses atours austères, le dernier film de Paul Thomas Anderson a fini par devenir un mini-phénomène pop, qui culmine dans un bonus DVD où Daniel Day-Lewis et Lesley Manville se battent à coups de confiture et de jus de carotte au petit-déjeuner. There will be LOL ?

Depuis l’apogée de There Will Be Blood en 2007, Paul Thomas Anderson semble vouloir s’enfermer dans une démarche de plus en plus exigeante, intransigeante, auteurisante, construisant des films-puzzles qui laissent un nombre croissant de spectateurs sur le carreau. A l’heure où les réalisateurs du monde entier constatent la désertification des salles de cinéma et s’en vont à un à un pointer chez les géants du streaming, PTA, lui, n’a pas l’air de se faire de souci, comme préservé des désagréments du commun des mortels par le mécénat de sa productrice Megan Ellison et la poignée de nominations aux Oscars que ses films finissent invariablement par décrocher. Après les déjà très abscons The Master et Inherent Vice, Phantom Thread semblait vouloir pousser le bouchon de la radicalité arty encore plus loin (lire notre critique). Hommage aux romances gothiques des années 40, huis-clos londonien au titre cryptique, réflexion sur la dépendance amoureuse filant d’obscures métaphores culinaires… Tout ça s’annonçait particulièrement casse-tête.

Cinq films à voir avant Phantom Thread

Pourtant, malgré son aspect austère et cérébral, le film aura réussi à déclencher des torrents d’amour, s’imposant comme un petit phénomène pop et un inépuisable réservoir de mèmes Internet. C’est Christopher Nolan himself qui a ouvert le bal, en déclarant qu’il avait été voir le film avec ses enfants (?!) et que ceux-ci l’appelaient désormais « Woodcock » (du nom du personnage de couturier arrogant joué par Daniel Day-Lewis) quand il se comportait de façon trop tyrannique à la maison. Dans la foulée, Phantom Thread lançait un débat sur l’utilisation du mot « chic » grâce à un monologue anthologique (« Chic ! Celui qui a inventé ce mot devrait être fessé en public ! Qu’est-ce que ce mot ? Putain de chic ! ») et Ie web regorge désormais de recettes pour confectionner un petit-déjeuner « à la Woodcock » (avec des scones, des saucisses, du Welsh Rabbit, des œufs pochés « pas trop baveux »...). Le fashionisto David Beckham a déclaré sa flamme au film en lui dédiant une story Instagram à base de « wow, « genius » et d’emoji « cœur ». Et si Jennifer Lawrence, elle, a avoué qu’elle n’avait pas tenu plus de trois minutes devant (peut-être parce qu’elle venait de finir la promo d’un film-jumeau, Mother !), ça a quand même offert au film un rab de buzz supplémentaire. Petit à petit, Phantom Thread a fini par devenir le troisième plus gros succès mondial de son auteur, après There Will Be Blood et Magnolia.


 

Tout ceci a culminé au moment de la sortie américaine du blu-ray, quand est parue cette déjà fameuse scène coupée (plus précisément : une impro pour un test caméra) où Day-Lewis et l’actrice Lesley Manville transforment la table du petit-déjeuner en champ de bataille, se balançant au visage tous les ingrédients à portée de main. Le genre de séquence qui devient un GIF dans la seconde. Mais comme on n’est pas non plus là que pour rigoler, PTA a également joint à la section compléments un montage de scènes coupées d’une durée de trois minutes, d’un raffinement exquis. Car voyez-vous, Anderson ne se contente pas de vulgairement empiler les scènes coupées, non, il les fond les unes aux autres dans une sorte de clip voluptueux et hypnotique (il avait déjà fait le coup sur le disque de The Master). For the hungry boy (c’est le titre de ce bonus) contient d’ailleurs un plan d’une beauté faramineuse – l’image de Woodcock et son amoureuse Alma sur un lac au pied des Alpes, évoquant Les Amants passionnés, un vieux mélo sublime de David Lean. Un plan pour lequel beaucoup de cinéastes se damneraient, et que PTA, lui, se contente d’expédier en bonus, entre deux séquences de bêtisier déconnantes où le vénérable Daniel Day-Lewis se retrouve badigeonné de confiture de framboises et de thé Lapsang Shouchong. Fucking chic, en effet.


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