Cannes Jour 9: Vers un avenir radieux, La Passion de Dodin Bouffant, Lily Rose Depp, Terrestrial verses
Sacher Films/ Curiosa Films- Gaumont- France 2 Cinéma

La star de The Idol a répondu à nos questions !

Le film du jour : Vers un avenir radieux de Nanni Moretti

Nanni Moretti en vieux briscard de la compet’ et du cinéma tout court poursuit sa psychanalyse d’artiste tourmenté et dépassé. Vers un avenir radieux dit le titre trompeur de ce nouvel opus qui s’affiche en lettres rouges sur un large mur. Nanni est Giovanni, un cinéaste qui croit encore à ses idéaux passés (le communisme rêveur et triomphant) et à son art (il ne se prive pas de donner des leçons à des jeunes écervelés). Giovanni est pourtant de plus en plus déconnecté avec un présent qui n’annonce rien de bon : sa femme productrice veut se barrer, sa fille s’embourgeoise et son producteur frenchy (Amalric sautillant) lui organise un rendez-vous ubuesque chez Netflix pour sauver ce qui peut l’être.

Nanni préfère en rire malgré l’inévitable crépuscule. Si le cinéaste italien a bien conscience de ne pas se donner le beau rôle, il déploie une belle énergie pour animer sa marionnette. Dans le film documentaire Chambre 999 de Lubna Playoust (présenté à Cannes Classics) reprend les mêmes interrogations sur l’avenir du cinéma posées à des réalisateurs cannois 40 ans auparavant. Wenders, qui ouvre le bal, exprime son désenchantement vis-à-vis d’un art que le numérique aurait défiguré. Moretti choisit la comédie pour dire peu ou prou la même chose. La chair est triste hélas et on a vu tous les films.

GALERIE
Festival de Cannes

Le twist du jour : La Passion de Dodin Bouffant 

Le titre laissait craindre le pire (mais permettait toutes les blagues imaginables - on vous laisse essayer). Sa traduction anglaise est encore pire : “The Pot au Feu”. On entre dans la salle en s’attendant donc à une vieille soupe académique, un bouillon indigeste. Ce Dodin Bouffant ressemble moins à La Grande Bouffe, qu’à un Festin de Babette franchouillard : pas vraiment le plat qu’on a envie d’avaler dans la dernière ligne droite du Festival. Le film commence sur une photo cuivrée, des intérieurs magnifiques. Mais pendant vingt minutes, on assiste tout de même à la préparation d’une tourte feuilletée… OK.

Arrive alors une scène fantastique : Dodin fait goûter une sauce à une jeune apprentie (une version gamine d’Anya Taylor-Joy). Elle en devine la composition et à chaque élément trouvé, la sauce se recompose progressivement à l’écran. Une belle idée de cinéma dopée par l’intelligence du montage et la composition sidérante de la jeune comédienne. En une séquence, on vient de se faire retourner et on a compris la note émotionnelle du film.

Le nouveau Tran Han Hung est autant un grand film sur la culture française (bien shootée, bien cadrée et parfaitement incarnée), qu’un portrait de personnages qui vont apprendre à s’aimer ou à s’apprivoiser dans une cuisine et autour de la bouffe. Et ça fonctionne. Accessoirement  c’est aussi une masterclass d’acteurs. Juliette Binoche est sublime et Benoît Magimel une fois de plus terrassant. 

La Passion de Dodin Bouffant
Gaumont

L’humiliation du jour 

Plus d’une semaine dans les pattes et les junkets continuent de s’enchaîner. On se retrouve au Marriott pour les interviews du cast d’Asteroid City. Au buffet, petite pâtisserie designée comme dans un film du maître. Les affiches andersoniennes ornent le couloir de l’hôtel, les attachés de presse font des ballets qu’on pourrait croire chorégraphiés par Wes… On pénètre dans une suite pour six minutes d’interview avec Bryan Cranston, Jeffrey Wright et Steve Park.

Ils sont là, assis, souriants, et surtout sapés comme jamais, stylés comme s’ils sortaient d’une scène d’Asteroid City. Cranston moustache au poil, pantalon de flanelle et chemise impeccablement repassée. Wright en chino gris et basket immaculées. Park en veste jaune canari et pantalon beige extra. En face, dans un jean froissé, un t-shirt mollasson et trop aéré, le journaliste de Première assume ses dix jours de festival, sa garde-robe quasi-vide et son rejet absolu de la dictature du look. 

On est à peine assis que Cranston, désigne notre écharpe autour du cou : “Il fait froid ?” “... ah non… je porte toujours un truc autour du cou” “Ah je vois. Le style c’est ça ? Old fashioned hein”. Un vieux sourire. Un blanc. Et cette moustache qui reste désespérément immobile… On regarde ses baskets (lessivées) et on enchaîne. On vient de se faire exclure du multivers andersonien par un physio de la mort… La vie est dure. 

Bryan Cranston
ABACA

L’expérience du jour: Inside the yellow cocoon shell

A Cannes si tu n’es pas Loach ou Moretti, tu es un pays. Aujourd’hui, il y avait donc "le vietnamien de la Quinzaine". Un film méga-croisette cochant toutes les cases : vietnamien donc, trois heures au compteur, que des plans séquences dedans et un titre à rallonge qui dit tout et rien : L’Arbre aux papillons d’or… Et ? C’était beau comme un vietnamien de la Quinzaine ! Le délégué général de ladite section soixante-huitarde voulait du radical et de la forme, il a été servi. Emportés par le cadre qui nous traîne et nous entraîne, on a accepté l’envoûtement sacré. Un accident sous la pluie, un mort, un disparu, un enfant (mignon comme tout) et... un deuil possible. Saïgon d’abord puis les montagnes embrumées pour un long voyage sans espoir de retour. Le tout traversé par des séquences puissantes. Le jeune cinéaste Thien An Pham est sincère dans ses gestes et sa foi religieuse, rien ici ne sent la pose. Et quand le héros fatigué , arrivé au bout de son long voyage, s’allonge dans le lit d’une rivière, on est à côté de lui. Apaisés nous aussi. Preuve, s’il en est, que quelque chose de miraculeux a bien opéré.

L'Arbre aux papillons d'or de An Pham Thien
JK Film

Le geste politique du jour : Terrestrial Verses

Comment raconter la violence quotidienne de votre pays par le cinéma ? Comment continuer à filmer quand pratiquer votre métier est devenu une course d’obstacles voire synonyme de possible emprisonnement arbitraire ? Ali Asgari, auteur du remarquable Juste une nuit, et son co-scénariste Alireza Kathami ont décidé de s’y employer en maniant l’absurde comme une arme de précision dans ce Terrestrial Verses, présenté à Un Certain Regard. Un titre en écho aux Versets sataniques de Salman Rushdie avec lequel il partage sa construction en neuf chapitres.

En l’occurrence ici neuf personnages confrontés à des situations (inspirées par des histoires vraies) où, tel le pot de terre contre le pot de fer, chacun tente de régler face à un représentant de l’administration, d’une institution publique ou d’une entreprise privée un problème qui, évidemment, ne fera que s’aggraver au fil de la conversation. Un homme qui déclare la naissance de son fils mais n’a pas choisi un prénom acceptable pour le régime, un réalisateur en quête d’une autorisation de tournage, une jeune femme qui conteste une contravention...

Neuf personnages filmés de manière identique - en plan moyen - face à des interlocuteurs qu’on entend sans jamais les voir. Un parti pris fort pour raconter le côté implacable de l’arbitraire. Et tout ce qui détruit  jour après jour le moindre petit bout de liberté qui dépasse éclate plein écran par la puissance satirique de ce qui y est échangé.

Terrestrial verses de Ali Asgari et Alireza Khatami
ARP

La vidéo du jour : Lily- Rose Depp 

Dans sa carrière, il y aura forcément un avant et un après The Idol, la série dont la diffusion des deux premiers épisodes dans le Grand Théâtre Lumière a fait naître un parfum de scandale sur la Croisette et les cris d’orfraie de ses contempteurs sur Twitter. So Cannes ! Lily- Rose Depp crève en tout cas l’écran dans ce rôle de pop star à la dérive manipulée par un propriétaire de boîte de nuit au passé louche et revient notamment au micro de Première sur les sources d’inspiration pour son personnage sexualisé en diable où la Sharon Stone de Basic instinct côtoie… Lauren Bacall, Catherine Deneuve ou encore Jeanne Moreau.


 

Jeudi à Cannes 

Ca sent la fin. La semaine de la critique s’est conclue hier (avec le triomphe de Tiger Stripes, un Grave dans la jungle malaisienne selon notre envoyé spécial) et la Quinzaine se termine aujourd’hui sur un événement : une conversation avec Quentin Tarantino et une projection surprise du maître. Même salle mais deux ambiances : une heure après, pour la clôture, l’équipe de la Quinzaine s’est offerte le nouveau Hong Sang-soo, In our day. En compétition, c’est le retour attendu de Wim Wenders avec Perfect Days porté par le toujours génial Koji Yakusho et celui de Catherine Breillat avec L’Eté dernier dans lequel Léa Drucker tombe amoureuse de Samuel Kircher. A Cannes Classic le film du jour s’appelle Le Village près du ciel et date de 1953. Mais on sera surtout tenté d’aller à la séance de minuit : Cobweb le nouveau Kim Jee-woon avec Song Kang-ho. Immanquable !