Le Discours
Le Pacte

Sociétaire de la Comédie-Française, l’acteur franchit un nouveau cap au cinéma où, après ses irrésistibles seconds rôles dans Le Sens de la fête et Mon inconnu, il tient brillamment le haut de l’affiche du Discours de Laurent Tirard. Retour sur le parcours d’un amoureux fou de la comédie.

Le Discours, joli succès critique de l'été 2021 au cinéma, arrive ce soir en clair sur France 3, suivi d'un autre film qui a enthousiasmé Première : La Terre des hommes. A cette occasion, nous republions notre portrait de son acteur principal, Benjamin Lavernhe.

Un pur geste de kamikaze. Se lancer dans un grand numéro mêlant comédie et magie sur la scène des César 2020 (voir vidéo ci-dessous). Alors qu’on a devant soi le public réputé le plus glacial et qu’on est soi-même nommé. Ce geste-là, Benjamin Lavernhe qu’on retrouve au cinéma dans Le Discours de Laurent Tirard l’a fait. Génialement fait. S’offrant le highlight d’une soirée qui allait imploser en plein vol quelques minutes plus tard. "J’ai eu le trac de ma vie", nous avoue-t-il quelques mois plus tard. "Mes jambes flageolaient. Si je n’avais pas fait de théâtre, j’en aurais été incapable !"

Le théâtre et Benjamin Lavernhe, c’est une histoire d’amour qui fut pourtant longue à se dessiner chez ce gamin de Poitiers biberonné au cinéma populaire – de Louis de Funès à La Guerre des étoiles en passant par Titanic. Un ado qui, régulièrement, se prend de passion pour des actrices. « J’ai eu des fixettes successives. Pendant quinze jours, après  avoir vu leurs films, je ne pensais qu’à elles. » La première fut Geena Davies dans Héros malgré lui. Puis il y eut Mary Elizabeth Mastrantonio dans Robin des  Bois, Gwyneth Paltrow dans Shakespeare in Love, Julia Roberts dans Coup de foudre à Notting Hill, Audrey Tautou dans Le Fabuleux Destin d’Amélie  Poulain... Le jeune homme au cœur d’artichaut goûte  pour la première fois au théâtre en classe de 4e, grâce à un prof qui monte La Jalousie du Barbouillé de Molière.

"Je trouvais le théâtre austère, mais monter sur scène me plaisait. J’ai vu que j’intéressais le prof. Et je me souviens surtout de ma fierté après, lorsqu’on est venu me féliciter alors que je déambulais dans les couloirs du collège", dit-il en souriant. Alors, l’année suivante, il s’inscrit à un cours de théâtre, mais sans pour autant avoir l’intention de se professionnaliser. Jusqu’à ce qu’il tombe sur une série documentaire consacrée au cours Florent sur Canal+. "Là, ça m’intrigue et ça m’intéresse vraiment." Pourtant, il arrête les cours. Drôle de paradoxe. "En fait, je voulais voir si j’avais envie de faire ce métier pour les bonnes raisons. Or, les mois passaient et ça ne me manquait pas. Quand on vous assure qu’on ne peut devenir comédien que si c’est vital, forcément ça refroidit."


Rien à perdre

La valse-hésitation durera un petit moment. L’année de son bac, il suit un stage de théâtre à Paris. Mais dans la foulée, il rentre à Poitiers faire une prépa littéraire puis une fac d’histoire. Un pas en avant, deux pas en arrière. Et quand, enfin, il décide de s’inscrire au cours Florent, il fait de même à l’Institut français de presse pour suivre des études de journalisme. Un pas en avant, un pas de côté. Mais plus pour longtemps. "Au cours Florent, je me suis senti bien. Je croisais les gens de la classe libre, les stars de l’école. Je n’imaginais pas un instant pouvoir y entrer un jour." Là encore, le regard de ses profs change la donne. "C’est grâce à eux que j’ai construit une confiance en moi. On est tellement nombreux dans ce métier que lorsque quelqu’un vous dit que vous êtes singulier, vous vous sentez pousser des ailes. J’étais incrédule, mais j’avais envie d’être à la hauteur."

Cet élan va le propulser de la classe libre du Florent au Conservatoire, puis au cinéma et à la Comédie-Française. Son enthousiasme en se remémorant cette période d’apprentissage ne s’est pas éteint. « Au Conservatoire, j’ai appris à avoir un point de vue sur un texte. Les mille et une façons de le jouer. À sortir de mes zones de confort. C’est un luxe infini de travailler – intellectuellement comme physiquement – l’acteur que l’on est. Après, on n’a plus le temps. » Il s’ouvre le champ des possibles. Au cinéma, Radiostars et son personnage de souffre-douleur, aussi hilarant que flippant, tapent dans l’œil de la profession qui le pré-nomme aux César. "C’était une chance énorme de débuter avec un rôle de composition au cœur d’une bande aussi joyeuse."

La chance, dès lors, ne le quittera plus. La chance de l’enthousiaste, celle de l’élève doué qui transcende ses dons naturels en faisant fi des chapelles. Y compris en intégrant la Comédie-Française, après un entretien avec la directrice d’alors, Muriel Mayette, alertée sur son cas par son ami Loïc Corbery : "Elle ne m’avait jamais vu jouer. On a juste longuement échangé. Elle a cherché à me faire un peu peur en m’expliquant qu’intégrer la Comédie-Française, c’est un peu comme entrer au couvent : je n’aurai plus le temps de voir mes amis. Si Tarantino m’appelle pour un film, ce sera niet. Je voyais qu’elle exagérait. Mais ce faisant, elle m’a surtout expliqué que la Comédie-Française, ce n’est pas une ligne en plus sur un CV, mais une manière extrêmement prenante de faire ce métier, en jouant plusieurs pièces en même temps. Ce qui ne convient pas à tout le monde. Mais, moi, je n’avais rien à perdre."

Le Discours: Benjamin Lavernhe renversant de virtuosité [critique]

Génie comique

À partir de 2012, Benjamin Lavernhe y développe sa pas- sion pour le théâtre, mais sans se couper du cinéma. Dans des registres dramatiques (Le Goût des merveilles d’Éric Besnard où il campe un autiste Asperger) ou plus légers (Comme un avion de Bruno Podalydès). Le Français n’a évidemment rien d’une prison. "Il faut juste être malin et ne pas abuser. Mais cela permet aussi d’affiner ses choix. Ainsi, j’ai dû renoncer au dernier essai pour Au revoir là-haut. À ce moment-là, je jouais Le Chapeau de paille d’Italie et Britannicus. Albert [Dupontel] n’a pas compris ma décision. 'Si tu préfères jouer des auteurs morts, tant pis pour toi', m’a-t-il rétorqué en m’expliquant que Laurent Lafitte, lui, y arrivait. C’est le jeu avec lui. Vous êtes à 100 % ou vous n’y êtes pas. J’espère qu’on se retrouvera, mais ce sont vraiment des problèmes de riches !'

Ces dernières années, avec Le Sens de la fête et Mon inconnu, tout s’est accéléré pour l’acteur. Deux nominations aux César pour deux grands numéros de comédie. Le genre qui le passionne le plus. "Je crois avoir toujours fait rire. Ça m’a d’ailleurs souvent joué des tours dans des rôles plus dramatiques où je n’apparaissais pas crédible." Pour le concours du Conservatoire, on lui avait conseillé d’aller vers Feydeau. "Je ne veux pas m’enfermer dans un genre, mais j’adore faire rire. C’est une science de musicalité et de rythme que j’adore autant pratiquer que disséquer."

Avec Le Discours, Benjamin Lavernhe franchit une nouvelle étape. Celle du premier vrai grand rôle au cinéma. Dans cette adaptation du roman de Fabrice Caro, il joue Adrien, souffrant le martyre au cœur d’un dîner de famille où son esprit ne cesse de vagabonder entre l’attente éperdue d’un SMS de sa copine qui a souhaité « une pause » dans leur relation et le stress de devoir faire bientôt un discours au mariage de sa sœur. Il est à la fois l’interprète et le narrateur face caméra de cette intrigue basée sur une logique de rupture permanente. "Quand Laurent [Tirard] m’a proposé le film, il n’en était qu’à la moitié de l’adaptation. Mais, d’emblée, j’ai aimé la singularité de la narration et la responsabilité qu’impliquait ce rôle. Assez immodestement, je me suis dit que c’était pour moi." Ce qui n’empêchera pas l’angoisse sur le plateau dans cet équilibre permanent à trouver. "Ce scénario regorge de moments où on a envie de faire le clown. Sauf que si on va trop loin dans la comédie, l’émotion ne revient jamais." 

Être sage et fou, voilà le secret d’un rôle où, plus que jamais, la générosité de Lavernhe crève l’écran. Jamais démonstratif et pourtant renversant de génie comique. Un talent qu’il a depuis mis au service de Wes Anderson (The French Dispatch), Éric Besnard (Délicieux), Yvan Attal (Les Choses humaines) ou encore du premier film d’Émilie Frèche (Dans un monde idéal). Le jeune homme qui aimait les actrices a fait du chemin. Bien malin celui qui peut deviner jusqu’où cela le mènera.