Ari Folman Valse avec Bachir
Abaca

De quoi êtes-vous parti pour écrire la première partie du Congrès (en prises de vues réelles) ?
Je me suis souvenu de la rencontre à Cannes d’une actrice américaine qui avait été célèbre dans les années 70 et que plus personne ne reconnaissait. Ca correspond au moment où Robin arrive à l’hôtel Miramount. Son fils lui demande si elle a été reconnue, alors que la bande annonce d’un film dont elle est la star est diffusée partout. Et elle dit non. Je suis parti de cette idée, dont je ne savais pas quoi faire, j’ai remonté le temps, et trouvé le principe du scan. J’ai mis un an à écrire le script.

Est-ce de la nostalgie pour une période révolue qui vous a inspiré ?
Les films changent. La profession que j’aime tant, metteur en scène, a beaucoup changé, humainement. Autrefois, il s’agissait de collaborer sur un plateau pendant une période limitée. Il s’agissait de nouer une relation entre le réalisateur, les acteurs, les techniciens, le son, la lumière, la décoration... On a une période donnée pour construire quelque chose ensemble. Aujourd’hui, la technologie, la chambre à scanner, la mo cap, l’image de synthèse… Vous voyez, un film comme L'Odyssée de Pi, ça m’a choqué. Ang Lee est un grand cinéaste, il connaît le métier, mais là, il est arrivé sur le plateau, et il a posé un acteur probablement devant un écran bleu.

Pas tout à fait, c’était un vrai bateau et de la vraie eau…
Mais les gens qui ont fait les effets numériques ont fait faillite. Bref, aujourd’hui, tout peut être fait en postproduction. J’adore la SF. Blade runner est mon film de SF préféré. Il a été fait en 1982. Tout a été fabriqué à la main : les modèles réduits d’immeubles, tout est en carton ou en alu. Je le regarde fréquemment et je ne m’en lasserai jamais. L’apparence de LA, tout est parfait. L’année dernière Ridley Scott a réalisé Prometheus. Il avait toute la technologie possible, il pouvait tout faire. Pourtant, ça ne marche pas. Personne ne se souvient du film.

Entre l’hommage à Fleischer et les saillies psychédéliques, le style de la partie animée est très composite. Comment l’avez-vous conçue ?
On commence avec Fleischer et les années 30, Superman, Betty Boop, Popeye, un style rude et précis, mais moins parfait et fluide que plus tard chez Disney. Ensuite ça devient de plus en plus hallucinatoire, d’où les références à Jérome Bosch à travers certaines créatures. Puis pour les séquences à New York, j’ai demandé à chacun des animateurs de proposer cinq personnalités qu’ils voulaient répliquer. Le principe dans le film, c’est qu’on prend des ampoules (des psychotropes qui permettent à celui qui les consomme de prendre l’apparence de qui il veut) qui plongent dans un bio-rêve. Or, dans cette société big brother, personne ne veut être boulanger dans le sud de la France avec une femme aimante et deux enfants, tout le monde veut être Beyoncé, Rihanna, Brad Pitt. Voilà ce que veulent les gens. Ils ne réfléchissent même pas au fait que leur idole est peut-être misérable, et condamnée à mourir à l’âge de 27 ans d’abus de drogues. C’est la culture dans laquelle nous vivons maintenant, une culture de l’immédiat, dans laquelle la télé réalité prend toute la place, donc vous voulez être le type que vous voyez à la télé. Et Lem l’a prédit, de beaucoup de façons.
Interview Gérard Delorme

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