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La nuit précédant l’annonce de la sélection officielle, sur son compte twitter, Thierry Frémaux lâchait : « Quoiqu'il en soit: "vous n'avez encore rien vu" ».Une allusion au film d'Alain Resnais, mais aussi, plus sûrement, un joli teasing pour sa sélection. Une manière de promettre du lourd, du neuf et de l’inédit.A l'arrivée ? La plupart des pronostics avaient globalement vu juste. Comme d’habitude, les cinéastes abonnés seront bien sur la Croisette (Loach, Kiarostami, Haneke, Reygadas), mais cette année verra aussi le retour de réalisateurs monstres (Cronenberg, Resnais et Leos Carax) et l’arrivée des nouvelles mascottes du délégué général (après avoir installé Brillante Mendoza et Paolo Sorrentino, Frémaux ouvre la porte à quelques cinéastes radicaux comme Sergei Loznitsa et Ulrich Seidl).Du coup, en regardant la liste, il n'y aurait pas de vraies surprises, ni de réelles nouveautés… Et pourtant : cette 65ème sélection donne des signaux forts sur l'état de la production mondiale. Décryptage.L’Amérique en force  La compétition semble affirmer le retour en force du cinéma américain, en englobant tout son spectre : du cinéma de studio (The Paperboy) au film indé (Mud du surdoué Jeff Nichols), en passant par quelques productions hybrides (Lawless et Killing them softly, réalisés par deux Australiens, mais co-produit par Annapurna, la société de Megan Ellison), cette 65ème sélection fait la part belle aux films US dans tous ses états. Une manière d’affirmer l’extrême vitalité de ce cinéma relativement absent de la compétition depuis quelques années… Par contrecoup, le cinéma asiatique semble faire grise mine. Chouchous des festivals, Im Sang-Soo et Hong Sang-Soo seront présents avec deux films qui, sur le papier, ressemblent étrangement à leurs dernières productions (panne d’inspiration ? Tendance auteurisante ?) tandis que Takashi Miike est lui, relégué en séance de minuit. A l’Est, rien de nouveau ?Le constat n’est pas plus réjouissant pour l’Europe puisqu’à côté des stars abonnées - Loach, Haneke - personne n'avait vu (re)venir Thomas Vinterberg avec un remake en anglais de La chasse, l'un des films fondateurs du cinéma danois. A part ça la présence de Cristian Mungiu pourrait signifier que l'on est finalement revenu au point de départ de la vague Roumaine du début des années 2000… On se consolera en espérant des nouvelles fraîches du printemps arabe (ou ce qu'il en reste) avec Après la bataille de l'égyptien Yousry NasrallahLe cinéma Français, grand gagnant ? Le cinéma français pourrait du coup tirer son épingle du jeu, avec trois candidats très forts. Après avoir réinventé le film noir avec Un Prophète, Jacques Audiard explosera les codes du film d'amour avec De Rouille et d’os, un mélo porté par Marion Cotillard. Face à lui, Alain Resnais rejoue les alchimistes avec ce qui ressemble à son film le plus fou et le plus libre depuis Je t'aime, je t'aime et, surtout, à une synthèse de toute sa filmo. Enfin, 13 ans après Pola X, le Rimbaud de la pelloche, Leos Carax, débarque avec Holy Motors au casting (Kylie Minogue, Eva Mendes, Michel Piccoli) aussi improbable que son scénario – quelques heures dans l’existence de Denis Lavant qui se glisse de vie en vie…. A coté de ce feu d'artifices très excitant, les autres français – Sylvie Verheyde, Kervern/Delépine, Catherine Corsini, tous murmurés comme candidats potentiels pour la compet’ – ont finalement été renvoyés dans les vestiaires d'Un certain regard.  Pour un feux de bengales ?Un Certain regard : la compétition bisOutre le glissement géographique, la sélection brille par l'absence totale de premiers films. Pour découvrir de nouvelles signatures il faudra donc se rabattre sur Un certain regard, qui tentera d’imposer quatre primocinéastes. Le choix est d’autant plus étonnant que ces quatre films assurent tous une forme de relève :  Miss Lovely, polar autour d'une filière de films érotiques, affranchit le cinéma Indien du poids de Bollywood pour s’aventurer sur un terrain plus tabou. Beast of southern wild, déjà primé à Sundance, s'affirme comme le fer de lance d'une génération américaine post-Malick. Grâce à La playa, la Colombie pourrait remplacer l’Argentine comme nouvel El Dorado cinéphile. Quant à Brandon Cronenberg , son Antiviral remet à jour la période Videodrome de son père - jusqu'à proposer la fascinante hypothèse d'un cinéma paternel ayant contaminé sa propre descendance.Ces quatre films permettent également à Thierry Frémaux de rappeler aux autres sections parallèles (La Quinzaine et La Semaine) qui est le patron. Un certain regard s'affiche encore plus clairement que l'an dernier comme une compétition bis et avec ses premiers films, cette section pourrait définitivement damer le pion de La Quinzaine des réalisateurs et de la Semaine de la critique - normalement dévolues au défrichage et aux découvertes.Au-dela de l'évidente envie de muscler Un Certain Regard, on pourra aussi s'étonner de la présence de réalisateurs précédemment honorés par la compétition dans cette section. L’idée que certains pays jusque là leaders (l'Argentine - Elefante blanco de Pablo Trapero, l'Asie - Mystery de Lou Ye) descendent en seconde division. Ou que certains challengers valeurs sûres d’hier (Xavier Dolan - dont Frémaux avait laissé entendre dès la présentation à Un certain regard des Amours Imaginaires que l'oeuvre suivante du canadien accèderait à la compétition) sont finalement des pétards mouillés.Les AbsentsC’est le point le plus étonnant de cette sélection. On savait déjà que certains cinéastes ne feraient pas le déplacement (Malick, Wong Kar Wai, Tarantino... - la rumeur du jour veut que QT vienne teaser son Django Unchained en présentant quelques séquences). Mais où sont passés Woody Allen, Stéphane Brizé, François Ozon, Olivier Assayas, Manoel de Oliveira, Pablo Larrain, Derek Cianfrance ? Pour ceux-là, effectivement, "Vous n'avez encore rien vu".Charles LoursonSuivez toute l'actu cannoise sur notre dossier spécial avec Orange Cineday