DR

Ces trois récits enchâssés de manière un peu désinvolte servent clairement de terrain de jeu à Garrone.Désinvolte, je ne sais pas… Il a d'abord fallu choisir les trois histoires. Et ça a été compliqué de choisir parmi les 50 des contes de Basile… il y en a tellement et tellement de belles. On a choisi ces trois histoires féminines. On a écrit un premier traitement de ces trois histoires sur des feuilles de couleur différentes. Chaque histoire avait sa couleur. J'ai accroché ces feuilles sur un tableau. Et j'ai commencé à encastrer, à mélanger les histoires et c'est comme ça que le scénario est né. Et puis je les changeais de place. Moins en fonction du sens que d'un pur instinct visuel. Comment les couleurs se mariaient notamment. Comme un peintre ou comme de la cuisine. Et au montage j'ai encore changé des choses. J'ai beaucoup changé le film et d'ailleurs, même là, je sais qu'après Cannes, je vais encore changé l'ordre des séquences… mais je ne vous dirai pas comment.Le cinéaste privilégie une imagerie primitive, organique et incroyablement poétique. On pense à Del Toro pour son baroque, à Cronenberg aussi dans sa façon d'aborder le corps.J'aime le fantastique. Mais Cronenberg est une obsession. Pour son travail sur le corps, et ses mutations, c'est une thématique qui m'obsède depuis des années. Mais au-delà de Cronenberg, j'aime le cinéma de genre parce qu'il mélange. J'ai beaucoup pensé à Bava. Le Pinocchio de Comencini. Brancaleone. Et au fond, tu sais ce qui m'a vraiment influencé ? Ce sont tous les cinéastes qui cherchent à revenir au cinéma en tant que spectacle pur. Qui veulent revenir à Méliès aux origines, au cirque. C'est ce que j'ai essayé de faire avec la scène dans laquelle John (C. Reilly) tue le dragon que j'ai conçue en hommage au cinéma muet. L'idée du spectacle pur. Je voulais créer une surprise émotionnelle chez le spectateur. Je voulais que ça ressemble à du Powell et Pressburger.>>> Le Conte des Contes : à quoi joue Matteo Garrone ?On a l'impression d'avoir loupé un truc, comme si notre attention était ailleurs pendant la projection, comme si on avait été envapé, absorbé par autre chose.Il faut se lâcher. Vivre le film à travers l’expérience émotionnelle comme devant un tableau. Quand tu regardes un tableau, tu n'essaies pas de le comprendre. Il faut laisser ton inconscient faire le travail. C'est un film qui demande au spectateur une grande liberté. C'est comme ça que je l'ai tourné. Laisse vivre ton inconscient. L'approche que j'ai eue était moins intellectuelle que libre, instinctive et émotionnelle. Je voulais raconter le parcours de ces personnages et j'ai suivi les personnages que je regardais vivre leurs désirs, leurs obsessions ou leurs conflits.Les flashs préraphaélites où l'on voit Stacy Martin nue, rousse à se damner, dans une forêt profondeOn vient tous de la peinture. J'ai été peintre, mes assistants, mon régisseur ont été peintres. On avait du coup des références très précises en commençant le film. Des peintures du XVII surtout Le Caravage, Salvator Rosa. Les préraphaélites c’est l’aboutissement…. Mais la véritable obsession, le peintre qui m'a accompagné, c'était Goya. Les caprices. Il mélange le côté fantastique, macabres, grotesques, dramatiques… tout est là. Je suis content que le public pendant la projection ait beaucoup ri. Ils ont été sensible au comique. Le réel et le fantastique. Le haut et le bas. C'est dans Basile. Cette dualité est toujours présente dans mes films.Propos recueillis par Gaël GolhenLe Conte des Contes de Matteo Garrone avec Salma Hayek, Vincent Cassel, Stacy Martin, Toby Jones était présenté en compétition à Cannes et sort dans les salles françaises le 1er juillet 2015