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La Cour de Babel, "plus fort que n'importe quelle fiction ou reportage sur la question des étrangers"

La Cour de Babel : mode d'emploi

Etre et avoir, L'école pour tous, Entre les murs, Sur le chemin de l'école, sans oublier Les Profs, le carton de 2013... Le cinéma français, de fiction ou documentaire, se passionne pour l'éducation nationale. Dernière représentante en date, Julie Bertuccelli (L'Arbre) qui, pour sa Cour de Babel, a posé sa caméra pendant un an dans une salle de classe d'accueil parisienne réunissant des collégiens étrangers.Mode d'emploi.<strong>Propos recueillis par Christophe Narbonne</strong>

Une pulsion de documentaire

« Le thème de l?exil me tient à c?ur depuis longtemps. Dans <em>L?Abbé Glasberg, Juste</em> (<em>2004</em>), j?évoquais une personnalité marquante qui a influencé la création de l?association France terre d?asile, où j?ai milité. Je voulais traiter de ce sujet, mais je ne savais pas comment l?aborder. Et puis lors d?un festival de films scolaires, j?ai découvert Brigitte Cervoni et sa classe d?accueil, venues présenter leur projet. En les voyant, j?ai eu comme une "pulsion" de documentaire et j?ai décidé de faire des repérages dans des collèges à la rentrée suivante. En septembre 2011, j?ai donc commencé par aller dans la classe de Brigitte Cervoni et par rencontrer ses élèves, qui m?ont immédiatement conquise. Je n?avais aucune raison d?aller voir ailleurs. »

L'intuition primordiale

« Dans la classe, le dispositif de tournage était réduit à sa plus simple expression : j?étais assise sur une chaise à roulettes avec ma caméra, à hauteur des élèves, tandis que l?ingénieur du son se déplaçait avec sa perche au gré des interventions. À la limite, c?était lui l?élément parasite ! Les collégiens ont vite oublié la caméra parce que, à force, je faisais partie du décor. Je venais quand même deux matinées sur les trois qu?ils passaient dans cette classe chaque semaine pour apprendre et perfectionner leur français. Le fait de tourner avec une seule caméra est un choix de mise en scène. À mon avis, ça ne sert à rien de multiplier les points de vue car durant une heure de cours, on a le temps de bouger et de changer d?axe. C?est plus stimulant : on est sans cesse en état d?alerte. Quand on tourne un documentaire, on court derrière la réalité, on n?a pas le temps de réfléchir. Parfois ça va vite et il y a des ratés, mais il y a aussi des instants de grâce. L?intuition est primordiale. »

Partis sans un rond

« Dans la foulée de ma visite, j?ai appelé Yaël Fogiel, ma productrice, qui m?a encouragée à me lancer très vite. Après avoir obtenu assez facilement l?accord des parents et du corps enseignant ? ils ont compris que je n?étais pas une simple journaliste en reportage pour une semaine ?, j?ai débarqué avec ma caméra et un ingénieur du son. J?ai la chance d?avoir une productrice géniale qui prend des risques : on est partis sans un rond et on a tourné avec rien ! C?était un peu lourd quand même car il fallait payer les cassettes, les journées de l?ingénieur du son... Yaël a aussi insisté pour qu?on commence le montage en parallèle afin d?avoir de quoi convaincre des partenaires éventuels et a donc engagé une monteuse à ses frais. Le distributeur, Pyramide, est entré dans le financement avant la fin du montage définitif et Arte cinéma a fait de même une fois le film terminé. »

Des moments captivants

« Il était impératif qu?une sorte de connivence s?établisse entre Brigitte (Cervoni) et moi. Je ne pouvais pas être présente en permanence et je devais choisir les bons moments pour venir. Nous parlions beaucoup des cours susceptibles d?amorcer le débat, des tensions apparues au sein de la classe, des rencontres programmées avec les parents... Malgré cela, parfois, il ne se passait rien pendant des jours entiers. Mais ça pouvait aussi être l?inverse : je débarquais et on m?annonçait que la veille s?était tenue une discussion super intéressante que j?avais manquée ! Dans ces cas-là, il faut arriver à surmonter un inévitable petit moment d?abattement. On essaie bien de relancer la prof sur le sujet en question mais, en général, ça ne fonctionne jamais deux fois. Heureusement, il y a des moments captivants, comme lorsque la classe aborde le thème de la religion. Voir Djenabou, cette jeune fille très croyante, être soudain envahie par le doute était incroyablement émouvant. Pour la première fois de sa vie, elle se posait des questions. Elle réagissait en adulte, en somme. »

Partager un regard sur les étrangers

« Les élèves étaient naturellement regroupés par affinités linguistiques, mais le fait de se sentir tous étrangers les soudait énormément. Pour approfondir certaines matières, quelques-uns d?entre eux allaient dans des classes de rattachement "normales" où ils étaient confrontés aux regards et à des propos malveillants du genre : « Tiens, v?la les étrangers qui ne parlent pas français. » J?ai préféré les entendre parler de racisme plutôt que les montrer en situation de victimes. Leur ressenti m?intéressait plus que stigmatiser des élèves désagréables. Mon plaisir ? et en l?occurrence mon but ? était de partager mon regard sur les étrangers, pas de tourner un documentaire didactique ou militant. Quand on écoute ces mômes, tout est dit : leur difficulté à vivre en exil et à être chargés de famille parce qu?ils sont les seuls à comprendre la langue de leur pays d?accueil. C?est plus fort que n?importe quelle fiction ou reportage sur la question. »

Etre et avoir, L'école pour tous, Entre les murs, Sur le chemin de l'école, sans oublier Les Profs, le carton de 2013... Le cinéma français, de fiction ou documentaire, se passionne pour l'éducation nationale. Dernière représentante en date, Julie Bertuccelli (L'Arbre) qui, pour sa Cour de Babel, a posé sa caméra pendant un an dans une salle de classe d'accueil parisienne réunissant des collégiens étrangers.Mode d'emploi.Propos recueillis par Christophe Narbonne