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Choisi pour représenter la Chine aux Oscars 2016, Le Dernier Loup a été disqualifié et remplacé par la tragi-comédie à succès Go Away, Mr Tumor il y a quelques jours. L'Académie a jugé en effet que la fresque animalière de Jean-Jacques Annaud, pourtant tournée dans l'Empire du Milieu, n'était pas assez "chinoise". Un choix "insupportable" pour le réalisateur et ses collaborateurs. "On a fait notre film à partir d'un best-seller chinois, avec des acteurs entièrement chinois, dans des langues de la Chine – le mandarin et le mongol – et c'est une histoire qui a un contenu chinois" a déclaré Jean-Jacques Annaud à l'annonce de la nouvelle.>> Jean-Jacques Annaud se dit "stupéfait" d'être disqualifié des Oscars">>>> Jean-Jacques Annaud se dit "stupéfait" d'être disqualifié des OscarsSi le film a été financé à 80 % par la Chine, le réalisateur, le compositeur et 3 des 4 scénaristes du Dernier Loup sont Français. Soit trop de Frenchies aux postes clés pour le règlement des Oscars qui stipule que "le pays candidat doit certifier que le contrôle artistique du film a été majoritairement effectué entre les mains de citoyens ou résidents du pays." Un principe nébuleux auquel Jean-Jacques Annaud oppose des chiffres : "Ils me parlent d'une large équipe française, on était sept ! Et il y avait 600 Chinois sur mon plateau, sans parler des acteurs, et ensuite 2 000 personnes en post-production, toutes en Chine !" a-t-il déclaré ce week-end à l'AFP.Go Away, Mr Tumor, le film chinois finalement sélectionné.Le Dernier Loup ne serait pas assez chinois, et c'est pour cette raison que l'Académie le disqualifie. Le Hollywood Reporter avance une autre piste : non pas une décision de l'Académie mais un revirement de la Chine. "Quelqu'un, en haut, a dit que la Chine ne voulait pas être représentée par des réalisateurs étrangers deux années de suite," a déclaré une informateur qui a préféré garder l'anonymat. "Certains ont peur que les réalisateurs chinois protestent et que les producteurs locaux embauchent plus de réalisateurs étrangers, ce qui ne serait pas très bon pour le marché domestique."L'annonce de la sélection du Dernier Loup avait en effet fait monter au créneau des cinéastes chinois, notamment Jia Zhang-Ke, pour défendre la place de son dernier long-métrage Mountains May Depart“J'ai entendu des rumeurs comme quoi le Dernier Loup aurait été élu pour représenter la Chine. Je ne pense pas que ce soit une bonne chose" avait déclaré le réalisateur dont les fables critiques (A Touch of Sin) acclamés en Europe n'ont jamais été dans les petits papiers du gouvernement chinois. "Je ne pense pas qu'un réalisateur français puisse représenter la Chine" "Supportez Jia Zhang-ke!" écrivaient les fans sur les réseaux sociaux.Nous avons demandé à Jean-Jacques Annaud ce qu'il en était vraiment.Selon le THR, la disqualification du Dernier Loup ne serait pas une décision de l'Académie mais du comité chinois...C'est tout à fait contradictoire avec ce que je fais en ce moment même : c'est à dire répondre aux innombrables mails de déceptions du Chinese Film Group. Les membres de cette compagnie influente sont aussi sonnés que moi et me demandent de les aider à faire changer d'avis l'académie des Oscars ! Je peux donc vous assurer que cette disqualification du Dernier Loup des Oscars est une décision 100 % hollywoodienne. Les Oscars ont des principes trop fluctuants, qu'ils choisissent de respecter quand ça les arrange. Ils auraient mieux fait d'écrire des règles du jeu plus strictes.Quel est votre ressenti par rapport à cette disqualification ?Même si je suis très déçu, je n'en fait pas une affaire personnelle j'ai déjà reçu suffisamment de récompenses et de statuettes partout dans le monde. (rires) En revanche, je trouve très réducteur de la part de l'Académie d'exclure la maison de production, les acteurs, les costumiers, les décorateurs et les truquistes du domaine artistique. Tout ce que vous voyez à l'écran est Chinois et pourtant il n'est pas considéré comme tel ! La nationalité d'un film ne peut pas être uniquement véhiculée par son auteur. Cette décision m'inquiète pour l'industrie cinématographique française qui doit beaucoup de son dynamisme à la coproduction avec l'étranger. J'ai peur que ce comportement restrictif incite les pays à se replier sur eux-même.Vous pensez que les Oscars ont une telle influence sur l'industrie cinématographique mondiale ?Oui bien sûr ! La compétition des Oscars permet à de nombreux pays de faire rayonner leurs films à l'International. Et s'il ne fallait plus travailler qu'avec des talents locaux pour espérer participer à la compétition, ce ne serait pas forcément bon pour la créativité des films. Le cinéma est un art ouvert au monde qui nécessite de recruter des personnes de talents à l'échelle du globe. Que se passera-t-il si l'Inde souhaite tourner un film en Hindi avec un réalisateur anglais, intégrer la musique d'un violoniste italien ou rwandais ? Ce film n'aurait plus le droit d'être Indien ?L'Académie aurait-elle l'esprit plus étroit qu'avant ?En tout cas, je trouve sa réaction très limite, je n'ose pas dire raciste. Si j'en crois leurs explications, les membres de l'Académie attendaient une image plus "traditionnelle" de la Chine ! Ils trouvaient par exemple que les personnages ne se déplaçaient pas assez à vélo ! A mon sens, il est dangereux de vouloir réduire la section "cinéma étranger" des Oscars à un cinéma tribal. Ça me dérange que l'Académie veuille mettre les films dans des petites boites de cuisines exotiques avec une étiquette "pas pour blancs" dessus (rires). Et puis quoi encore ! Il faudra bientôt faire des prises de sang aux collaborateurs d'un film pour valider sa provenance ?Étonnant de la part des Etats-Unis qui ont accueilli beaucoup de réalisateurs étrangers...Oui Hollywood était bien content d'accueillir les réalisateurs du monde entier. Ce pays est influent parce que c'est un incroyable aspirateur de talents : de Fritz Lang à Milos Forman en passant par Murnau ou Tourneur, il a co-produit les films des plus grands réalisateurs. Et que seraient les Westerns américains sans la musique d'Ennio Moriccone ? L'Académie est en contradiction totale avec sa pratique et le mouvement actuel du cinéma qui tend vers l'intégration et la globalisation.Qu'est ce qui pourrait donc déterminer la nationalité d'un film ?Tout simplement sa production, son lieu de tournage et la nationalité des personnes qui y sont impliquées. Mais toujours en gardant à l'idée qu'aucun long-métrage d'envergure ne peut pas avoir qu'une seule nationalité. Regardez donc les génériques de film on y trouve des noms du monde entier ! Il faut tout simplement que l'Académie respecte ce qu'indiquent les traités de production.Mais alors, dans cette logique, pourquoi s'appliquer à déterminer la nationalité d'un film ?Parce que, malgré tout, une concurrence artistique entre les pays est nécessaire. C'est un procédé sain qui permet d'avoir des propositions de cinéma fortes et plus diversifiées. Je suis très content et très fier que le cinéma français soit puissant mais je suis aussi très heureux que le cinéma chinois connaisse un tel essor à l'international pendant que le cinéma italien renaît peu à peu. Les compétitions doivent encourager la créativité, pas enfermer des pays dans des cases.Donc Le Dernier Loup est un film international ?Oui, il est considéré comme un film français en France, chinois en Chine et sino-européen dans le reste du monde. Et les ambassadeurs que j'ai rencontrés dans les projections sont très fiers de cette collaboration.Avez-vous eu des pressions quelconque lors du tournage en Chine ?J'ai dû apporter mon scénario à la censure mais c'est tout. Ils ont émis quelques réserves courtoises sur deux scènes et je leur ai dit que je les tournerai quand même. Ce que j'ai fait et elles sont présentes dans le montage diffusé là-bas. J'ai passé 4 ans en Chine et c'était une coopération formidable au plan humain et artistique, je recommencerai avec beaucoup de plaisir.Vous pensez que l'Académie aurait pu trouver que Le Dernier Loup n'était "pas assez censuré pour être chinois" ?C'est tout à fait possible, j'ai eu la chance de toujours bénéficier d'une liberté politique et financière, partout dans le monde et tout au long de ma carrière, de Hollywood à la Chine. Ainsi il est possible que l'Académie des Oscars associe automatiquement la liberté d'auteur au cinéma français ! Et c'est une erreur je pense. Tout comme de dire que Mustang est un film français sous prétexte qu'il représente bien les valeurs de la France. Il prône des valeurs humaines, tout simplement, qui ne sont pas si différentes au Cameroun et en Sibérie.Propos recueillis par Mathias Averty