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Il a éclairé les plus grands films contemporains. On lui doit la photo de Zodiac, Elephant, The Yards… Il fut l’œil des meilleurs, sachant polir un style qui alliait fluidité aérienne et travail sophistiqué sur la lumière. Au lendemain de la disparition de Harris Savides, on a demandé à Eric Gautier, chef op français qui a notamment bossé avec Sean Penn, Ang Lee ou Walter Salles, de revenir sur le travail de ce titan. In memoriam.« Sa mort m’a vraiment affecté. Je ne le connaissais pas très bien, on s’était rencontré deux ou trois fois, mais on s'écrivait parfois par mail et c’était quelqu’un pour qui j’éprouvais une profonde admiration. Pour tout dire, c’était l’un des rares chefs opérateurs dont je suivais la carrière. Je me souviens par exemple être allé voir Birth sans connaître Jonathan Glazer, ni savoir ce que ça racontait, mais simplement parce que Harris en avait composé la photo – sublime, d’ailleurs.C’était le plus grand chef opérateur du cinéma américain. Le plus inventif, même s’il restait fidèle à la grande tradition du cinéma US. Aujourd’hui, on est un peu trop dans “l’image pour l’image”. Harris, au contraire, était d’abord et avant tout au service du film, de sa narration. Sa volonté était de servir l’intérêt de la fiction et le réalisateur. Regardez sa filmographie : il ne s’est jamais trompé sur les projets qu’il a choisis ou les réalisateurs qu’il a accompagnés. Et rares sont ceux qui peuvent en dire autant. Il a toujours su épauler des cinéastes profondément modernes.Il était à des années lumière de cette conception aujourd’hui triomphante de la “belle image”, qui conduit les opérateurs à se mettre en avant. C’est facile pour un chef op de composer une belle lumière. Harris, lui, voulait d’abord servir la vision du réalisateur, être cohérent avec ce que le film racontait. Il avait cette intelligence-là. C’était un homme modeste et en même temps puissant, qui savait s’imposer naturellement. C’est peut-être là qu’il faut chercher sa vraie signature...Il possédait également un sens du cinéma inouï. Il aimait les textures, la pellicule. À l’opposé de la mode du clinquant et du criard, il n’avait pas peur d’aller vers le terne - et en cela c’était vraiment l’héritier du cinéma 70’s. Depuis quelques années, on aime les noirs profonds. Lui préférait les noirs qu’il appelait “milky”, laiteux - comme dans Le Parrain. À la sortie de Zodiac, je me souviens que je lui avais dit qu’il s’agissait d’un film passionnant pour son travail sur le numérique ; il m’avait alors répondu qu’il aurait préféré le tourner en pellicule. Même si je persiste à penser que c’est cet aspect un peu plus froid qui donne au film son côté très moderne, je comprends surtout qu’il recherchait et aimait par dessus tout la matière. Dans le genre, son travail sur le dernier Sofia Coppola, Somewhere, est d’une audace et d’une modernité folle.Harris a eu une influence évidente sur mon travail. Quand Sean Penn m’a demandé la vision que j’avais pour Into The Wild, le seul film que je lui ai montré fut Gerry. J’avais aimé la manière dont Harris photographiait la nature qui est belle, douce et magnifique au début et se fait progressivement menaçante et dangereuse. J’ai travaillé l’Alaska d’Into The Wild exactement de cette manière.C’est vraiment une grande perte. C’était un homme cultivé, fin, et élégant qui va nous manquer. »Propos recueillis par Gaël Golhen