En plein tournage d’un biopic sur Arletty pour la télévision (« Le scénario est formidable ! »), Laetitia Casta a accepté une interview téléphonique pendant sa journée de repos. Égale à elle-même, entière et impulsive, elle s’enflamme au moindre commentaire qu’elle juge inapproprié, rit subitement à gorge déployée, se fait chatte quand on la flatte. La Casta est un numéro et une grande actrice dont le cinéma français ne peut plus se passer.PREMIÈRE : Des lendemains qui chantent évoque un idéal, celui de la gauche au pouvoir en 1981, qui s’écroule en 2002 lors de la défaite de Lionel Jospin. Que vous inspire personnellement cette période ?LAETITIA CASTA : J’étais trop jeune en 1981, mais j’ai des souvenirs de mes parents, qui, eux, étaient très engagés politiquement...À gauche ?Pas forcément. Cela ne m’a pas empêchée d’être du bord opposé. J’ai mis du temps à comprendre que j’étais foncièrement de gauche. C’est un état d’esprit.Le film est comme un prolongement de Nés en 68, de Ducastel & Martineau, où vous incarniez une soixante-huitarde émancipée. Question naïve : peut-on être de droite et jouer ce genre de rôle ?Arrêtez, un acteur, ça peut tout jouer !Oui, mais en l’occurrence, votre filmographie reflète vraiment votre sensibilité politique.Ça veut dire que vous n’avez pas tout vu. Les Âmes fortes, ça ne me semble pas être une oeuvre de gauche. C’est trop facile d’isoler deux films et, à partir de là, d’établir une vérité.Alors peut-on dire que les choix qu’on fait en tant qu’actrice sont politiques ?Chez moi, ils sont politiquement incorrects, c’est différent.Comment avez-vous abordé Noémie ? Elle paraît loin de vous sur le papier.Pourquoi ? Vous me connaissez ?Vous voyez ce que je veux dire, elle est un peu psychorigide.À l’origine, l’histoire hésitait entre politique et romance, il y avait un côté César et Rosalie qui dévoilait davantage les failles de Noémie. Moi, je ne la trouve pas rigide. C’est une femme qui a des idéaux et qui va jusqu’au bout, contrairement à d’autres personnages du film.Ça ne me dit pas comment vous avez préparé votre rôle...Nicolas avait en tête une jeune Ségolène Royal, pétrie d’ambition. Je l’ai plutôt ramenée vers moi, vers quelqu’un de passionné. Je suis une grande romantique,vous savez.Lorsque je vous ai rencontrée il y a onze ans pour Errance, de Damien Odoul, vous étiez à la fois déterminée et sur la défensive. On sentait que vous vouliez faire vos preuves. Dans quel état d’esprit êtes-vous aujourd’hui ?C’est normal, quand on est jeune, de vouloir faire ses preuves, non ?Alors, j’ai tort ou j’ai raison ?Je n’ai jamais dit que vous aviez tort, j’ai dit ça ? Disons que je suis plus apaisée.Vraiment ?Bah oui, sinon je ne vous le dirais pas ! Oh, vous êtes... (Rire.) À l’époque, c’est vrai, je menais peut-être un combat. On m’a bien fait sentir que je n’étais pas à ma place. Ma réaction semblait légitime. Et puis, j’ai mon caractère... Mon agressivité, je crois en avoir fait une force. Ce qui compte, c’est que je sois toujours là, aujourd’hui, à faire des films. Je suis très fière de n’avoir jamais baissé les bras.Votre nomination au César du meilleur second rôle féminin en 2011 pour votre performance en Bardot dans Gainsbourg (vie héroïque) a-t-elle changé le regard des autres sur vous ?Certainement. Mais le plus important pour moi, c’était d’être accueillie les bras grand ouverts par la famille du cinéma.Avez-vous ensuite senti un désir plus fort de la part des gens du métier ?Oui et non. Depuis mes débuts, je n’ai jamais cessé de tourner. Je dirais qu’après les César, le désir était assumé des deux côtés, du mien comme du leur.Dans votre filmographie, il n’y a que deux grosses machines à faire des entrées : Astérix & Obélix contre César et La Nouvelle Guerre des boutons. Les regrettez-vous ?Jamais !Refusez-vous les comédies populaires ?Non, je vais là où je peux explorer, m’amuser.Vous êtes quand même très branchée cinéma d’auteur.L’exigence réduit forcément les possibilités. Tourner un film pour avoir du succès, je m’en fous. C’est plus difficile de dire non que oui, mais c’est le prix de la liberté. En même temps, je ne m’interdis rien. Si demain, j’ai envie de jouer une fille qui saute par-dessus les barrières et qu’un script me tente, je fonce.Oh oui, s’il vous plaît, jouez une fille qui saute par-dessus les barrières !(Rire.) C’est ce que je fais déjà dans la vie, hein ? Sérieusement, j’adorerais. Je suis très physique.Comment vivez-vous les échecs des films qui vous tiennent à coeur, je pense à Errance, à Une histoire d’amour, d’Hélène Fillières ou à Do Not Disturb, d’Yvan Attal, en particulier ?Au début, c’était extrêmement violent. Je mettais tellement de moi dans mes rôles que je me sentais responsable. Mais avec le temps, on finit par prendre du recul.Si on vous dit qu’Une histoire d’amour est raté, comment le vivez-vous ?Je l’accepte, mais j’entends aussi le contraire. Je vous cite un prof de dessin que j’ai adoré : « Tu ne peux pas dire que tu n’aimes pas une peinture, tu peux dire que tu ne l’as pas comprise. » Ça m’est resté.Ce long métrage a-t-il été votre plus gros défi en tant qu’actrice ?Non, ça a plutôt été le tournage le plus difficile à vivre. Non seulement le personnage n’est pas gai mais l’ambiance sur le tournage n’était pas extraordinaire. Hélène avait besoin de passer par cet état-là pour « sentir » son film.Êtes-vous restée en bons termes avec elle ?Si je la croise demain, il n’y aura aucun problème.Et avec Benoît Poelvoorde, ça s’est bien passé ?On s’est serré les coudes ! (Rire.)Vous êtes le maillon fort de Sous les jupes des filles, d’Audrey Dana, joli succès en salles tièdement reçu par la critique. Ça vous fait plaisir de l’entendre ou ça vous ennuie qu’on isole votre performance ?Vous rigolez ou quoi ? Ça me fait énormément plaisir ! Je n’avais jamais eu une telle partition comique à interpréter, j’ai adoré. Contrairement aux apparences, je ne suis pas contre la joie de vivre et la connerie.En 2012, vous avez été membre du jury de la Mostra, présidé par Michael Mann. C’était une forme de reconnaissance ?Un cadeau, plutôt. Côtoyer des gens comme Michael Mann, Ari Folman ou l’artiste Marina Abramovic’, dont le point de vue sur les films est pur et sincère, c’était stimulantet passionnant. On n’arrivait plus à se quitter. Le soir, on se retrouvait sur la plage pour discuter de cinéma et de la vie.Avez-vous dit à Michael Mann que vous aimeriez tourner avec lui ?(Rire.) Eh bien non ! C’était une chouette rencontre, pleine de pudeur. Au début, Michael tapait sur l’épaule de tout le monde, et moi, il me serrait la main, j’étais dégoûtée ! Puis le deuxième jour, lors d’un point entre les membres du jury, il m’a regardée et m’a demandé mon avis. Je me suis décomposée avant de me ressaisir. À ce moment-là, j’ai dû franchir une étape à ses yeux. Il m’a dit de très belles choses par la suite.Vous êtes-vous fait la bise à la fin ?Oui, et il m’a même envoyé un mail disant : « Si tu passes à Los Angeles, appelle-moi. »Vous n’en avez pas profité pour lui répondre : « Si tu as un rôle, appelle-moi » ?Je trouve ça grossier comme démarche, si je peux me permettre.Ça ne vous est jamais arrivé ?Une fois seulement. Je préfère les choses imprévues, comme lorsque Kamen Kalev me propose d’aller tourner The Island sur une île déserte en Bulgarie ou quand Tsai Ming-liang fait appel à moi pour Visage. C’est tout de même incroyable, non ?Interview Christophe Narbonne (@chris_narbonne)Des lendemain qui chantent sortira demain au cinéma. Bande-annonce :