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On connait la chanson, mais pas dans cette langue-là.

Le premier plan de Leto (L’Eté) est stupéfiant : trois groupies dans une backstreet, en noir et blanc, tentant d’entrer en loucedé à un concert. On pourrait être à Liverpool en 64, à Londres en 76, à Manchester en 88. On pourrait être dans Control, A Hard Day’s Night, Velvet Goldmine, Désordre, Not Fade Away... Sauf qu’on est à Leningrad au début des eighties, un espace-temps pas vraiment répertorié dans les encyclopédies rock. Un monde où il est interdit de danser dans les concerts et où les disques du Velvet s’échangent comme des trésors de guerre. Kirill Serebrennikov tricote un biopic sur des stars de l’ère soviétique inconnues sous nos latitudes (Viktor Tsoi et Mike Naumenko) et le décalage linguistique et culturel (des chansons célèbres là-bas mais qu’on n’a jamais entendues ici, des comportements extra-terrestres à nos yeux occidentaux) va nous obliger à regarder ces clichés de la coming-of-age story électrique comme si on les voyait pour la première fois. Le cast de jeunes gens sublimes, le bizarre love triangle au cœur du récit, les feux de joie sur la plage la nuit et les étreintes désespérées au petit matin… Parce que la musique binaire trouble l’ordre public, parce que la poésie trash est prohibée, parce qu’on sait que tout peut vraiment s’arrêter du jour au lendemain, alors chaque instant prendra ici un éclat nouveau, presque cristallin. Les passages supposément grisants, uplifting (des séquences façon comédies musicales au son de « Psycho Killer » ou « Perfect Day ») sont constamment minées par un coryphée qui précise que ces chouettes moments « ne sont jamais arrivés ». L’Eté s’achève et laisse tout le monde face à ses rêves fracassés. Hébétés et perdus. Comment on dit « Dazed and Confused » en russe ?

Leto, de Kirill Serebrennikov, Sélection officielle (en compétition). Sortie française le 5 décembre.