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Dans l’édition Blu-ray d’Every Thing Will Be Fine, une large partie du making of est consacrée à l’importance de la 3D dans la conception même du projet. Drame intimiste qui raconte les conséquences d’un accident mortel sur la vie personnelle et professionnelle d’un écrivain, le film repose essentiellement sur l’interprétation des comédiens (James Franco, Charlotte Gainsbourg). Le metteur en scène, Wim Wenders, a pensé que l’outil artistique qui permettrait de voir à travers les gens, de capter les méandres de la conscience de ses personnages était la 3D. Comme nous l’explique son chef opérateur Benoît Debie : « Depuis Pina, Wim est très attaché à ce procédé qu’il essaie d’exploiter et d’expérimenter au maximum. Pour Every Thing Will Be Fine, il a voulu que la 3D ne soit pas dérangeante ou distrayante comme c’est le cas dans de trop nombreux films américains pour enfants. Il tenait aussi à ce qu’elle soit belle, subtile et en adéquation avec la psy- chologie des personnages. » Debie, qui faisait là ses débuts en 3D, s’est beaucoup documenté avant d’adapter le procédé à son propre style, ce qui n’a pas toujours été facile. Il a dû batailler avec les stéréographes (les techniciens qui créent le relief) qui cherchaient à lui imposer certaines contraintes techniques. « Ils réclamaient notamment plus de profondeur de champ, pour que l’effet soit  plus marqué » souligne-t-il. C’était lui demander de renier son style – il tourne habituellement en lumière naturelle et affectionne les grandes ouvertures – , mais c’était surtout aller contre la nature même du film, qui cherche à rendre palpables les émotions des personnages. Debie poursuit : « Filmer avec une faible profondeur de champ nous permettait d’attirer le regard là où on voulait, sur le visage d’un acteur plutôt que sur l’arrière-plan. » L’utilisation  de la 3D entraînait également des difficultés : « Il faut être très vigilant avec la composition du cadre, faire en sorte que certaines amorces ne jaillissent pas de l’écran. Il peut aussi y avoir des taches de lumière dans le fond qui, en 3D, peuvent distraire alors qu’en 2D, on ne les remarque pas. Et les mouvements de caméra doivent être plus discrets et délicats, au risque de fatiguer le spectateur. » Il n’empêche : du début à la fin (Debie contrôlait les prises de vues sur un écran télé 3D), Every Thing Will Be Fine a été conçu et fabriqué dans le format relief.Manque de reliefLa sortie d’un Blu-ray uniquement en 2D devient du coup difficilement compréhensible. Benoît Debie pense que l’éditeur n’était pas forcément disposé à investir pour un film n’ayant pas marché en salles. Mais c’est un peu plus compliqu". Matthieu Delefosse, éditeur vidéo chez Bac Films, invoque d’abord une raison technique pour justifier l’édition 2D : « La 3D utilisée par Wim Wenders est passive. Le rendu télé n’a rien à voir avec l’expérience 3D que l’on peut vivre en salles avec... disons Avatar. Le résultat peut être très décevant. » De plus, l’équipement se révèle complexe, cher et souvent inadapté. Même si Matthieu Delefosse est optimiste sur l’avenir de la 3D domestique, il reconnaît  qu’elle n’est pas encore suffisamment développée et qu’il reste des freins à la croissance du marché. « Le coût des équipements est souvent prohibitif, confirme t-il. Et si la 3D a clairement sa légitimité en salles, les résultats des premiers téléviseurs dédiés ne sont pas à la hauteur de l’expérience cinéma. Il faudrait aussi que les contenus proposés en 3D soient plus nombreux pour justifier l’achat de l’équipement. Ce n’est pas encore le cas. » D’autant plus que, pour s’équiper correctement, il faut un téléviseur 3D, un lecteur de Blu-ray 3D, un ampli audio 3D et un décodeur TV compatible. Pour compliquer l’affaire, il faut également les lunettes (chères) adaptées aux fameux systèmes passif ou actif. Tout ça pour un catalogue encore limité (seuls les gros blockbusters sont disponibles). Pire : en volume, la tendance serait à la baisse puisque, selon les derniers chiffres  de l’observatoire officiel (baromètre CNC/GfK), la vente de Blu-ray a chuté de 19,3 % au premier semestre 2015. Il est de toute façon trop tard pour Every Thing Will Be Fine, victime collatérale des aberrations du secteur. Et Benoît Debie peut s’inquiéter : la partie n’est pas gagnée. Mais elle n’est pas non plus définitivement perdue. Il faudrait juste que la technologie offre rapidement une 3D à la maison sans lunettes. Et les (bons) films qui vont avec.Every Thing will be fine en DVD et blu-ray depuis le 22 septembre Gérard Delorme